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Le Pacte de Marrakech, entre interprétations et instrumentalisations politiques

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Adopté ces lundi et mardi 10 et 11 décembre par plus de 150 Etats lors d’un sommet organisé à Marrakech, le “Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières” a fait couler énormément d’encre ces dernières semaines. Ce texte a profondément divisé au sein même des gouvernements et une quinzaine de pays ont annoncé leur retrait ou le gel de leur décision, alors même qu’ils l’avaient approuvé à New York le 13 juillet dernier.

Pacte de Marrakech, Pacte mondial sur les migrations
“Le Pacte mondial réaffirme le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence.”

Quels sont les points de discorde autour du Pacte de Marrakech ?

Le Pacte de Marrakech a cristallisé les opinions déjà existantes sur la question migratoire. A l’approche de la conférence, il a été l’objet de multiples interprétations politiques. Des partis de droite et d’extrême droite, surtout en Europe, se sont prononcés sur la portée de ce document avant tout symbolique et ont réussi à faire reculer leur pays. En Belgique, les frictions ont été tellement importantes qu’elles ont entraîné le départ du N-VA du gouvernement et ont mis fin à la coalition dite “kamikaze”, laissant place à une crise politique.

Selon ses détracteurs, le Pacte mondial permettrait “d’ouvrir toutes les frontières” entraînant un afflux de migrants. Il serait l’expression d’une volonté de l’ONU de priver les Etats de leur souveraineté en leur imposant des mesures politiques. Marine Le Pen a ainsi parlé de “dictature immigrationniste” et a encouragé les gilets jaunes en France à combattre l’adoption de ce texte qui faciliterait l’accès au travail des migrants à leur détriment. Les défenseurs du Pacte plaident quant à eux en faveur d’une meilleure coopération et coordination internationales concernant le phénomène migratoire sachant “qu’aucun Etat ne peut gérer seul” cette question. Alexis Tsipras a également donné sa vision du texte qui permettra selon lui de “lutter de manière efficace contre les réseaux mafieux criminels”.

Outre deux visions du phénomène migratoire, ce sont deux visions des relations internationales qui s’opposent à travers ce pacte. D’un côté le refus de la “gouvernance mondiale”, incarné par Donald Trump qui souhaite faire cavalier seul, et le multilatéralisme de l’autre, sous l’égide d’Angela Merkel qui souhaite apporter une « réponse commune » à ces problématiques. Cette dernière et le Premier ministre belge Charles Michel ont rappelé lors de la conférence que le multilatéralisme est certes un “modèle de coopération complexe”, au coeur de la fondation de l’ONU, mais qu’il est “le seul moyen pour ceux qui veulent un monde meilleur” et la seule réponse au « nationalisme pur ».

Le Pacte mondial est avant tout un engagement moral de la part des Etats

En réalité, le Pacte de Marrakech est un instrument de soft law (droit mou). Il est donc doté d’une faible normativité et n’est pas contraignant : s’ils ne respectent pas leurs engagements, les Etats signataires ne feront l’objet d’aucune sanction. Le texte rappelle à ce propos plusieurs fois l’importance de la souveraineté étatique et de la liberté de chaque pays de choisir sa politique migratoire. Par ailleurs, le Pacte laisse aux Etats la possibilité “d’opérer la distinction entre migrations régulières et irrégulières” ce qui leur laissent une importante marge de manœuvre.

L’Autriche a notamment affirmé la possibilité que “le pacte sur les migrations établisse un nouveau droit international contraignant ou puisse être interprété comme tel”. Or, le texte ne crée aucun droit de la migration mais repose sur des textes fondamentaux déjà existants relatifs aux droits de l’Homme. Louise Arbour, la représentante à l’ONU, le définit comme un “cadre de travail”, il est donc destiné à aiguiller les débats et la coopération internationale. Le Pacte de Marrakech promeut une vision positive des migrations, en préconisant « d’éliminer toute forme de discrimination » dans le respect de la liberté de la presse. Il rappelle qu’il s’agit d’un phénomène qui a toujours existé et dont il faut se préoccuper à l’heure où les flux migratoires qui paraissent incontrôlés et la menace terroriste suscitent des inquiétudes et des contestations.

Au final, le Pacte de Marrakech est révélateur d’une méfiance des populations à l’égard de l’ONU et témoigne de l’incapacité des Etats membres de l’UE d’adopter une position commune sur la question migratoire. Les débats houleux qui ont pris place ne sont d’ailleurs pas exempts de stratégies politiques à la veille des élections européennes de 2019. Ces profondes dissensions internationales posent de nombreuses questions sur ce qu’il va advenir des phénomènes migratoires, qui selon les experts vont s’accentuer avec les urgences climatiques.

Sources :

https://undocs.org/fr/A/CONF.231/3

https://www.afp.com/fr/infos/334/la-conference-de-marrakech-approuve-le-pacte-mondial-pour-les-migrations-doc-1bh3gw2

https://www.franceculture.fr/droit-justice/pacte-de-marrakech-sur-les-migrations-le-vrai-du-faux-dun-texte-tres-controverse

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Axelle Jourdain-Derros

Axelle Jourdain-Derros est étudiante à Sciences Po Toulouse. Elle s’intéresse notamment aux problématiques liées aux grandes organisations internationales et aux enjeux de défense. Elle est rédactrice pour les Yeux du Monde depuis décembre 2018.

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