Nigéria, Buhari aux commandes
Le 31 mars 2015, le Nigéria a été le théâtre d’un événement historique. Muhammadu Buhari a battu Goodluck Jonathan aux élections présidentielles nigérianes. Après l’indépendance de 1960, la guerre civile (1967-1970), les dictatures militaires, les putschs et la toute-puissance du Parti démocratique populaire (PDP) de 1999 à 2015, c’est la première fois que la première puissance démographique et économique d’Afrique connaît une alternance démocratique. Les pays voisins tout comme l’ensemble de la communauté internationale ont salué cette transition dans le calme, permise par l’acceptation digne de la défaite du président sortant.
Muhammadu Buhari est un habitué des hautes sphères du pouvoir. Ancien général, il a déjà été à la tête du Nigéria (1983-1985), à la suite d’un coup d’État. Aujourd’hui, cet homme du nord du pays, de confession musulmane, a 72 ans et d’immenses défis à relever. Tout d’abord, la mission directe du nouveau président de la plus grande démocratie d’Afrique consistera à abattre le groupe terroriste djihadiste Boko Haram qui menace la sécurité de millions de personnes dans le nord-est du Nigéria et dans la sous-région (Niger, Tchad, Cameroun). Ce volet sécuritaire a largement monopolisé la campagne présidentielle et la sphère médiatique. Buhari a d’ailleurs bénéficié d’un large soutien électoral dans les États du nord du pays dans lesquels la population est particulièrement exposée au risque d’attaques armées et qui reproche à Goodluck Jonathan sa négligence et son incapacité en matière de lutte antiterroriste. Pour répondre aux attentes sécuritaires des Nigérians, Buhari devra donner les moyens à l’armée régulière de livrer bataille aux combattants de Boko Haram tout en trouvant sa place au sein de la coalition régionale, dominée par les contingents tchadiens d’Idriss Déby.
Le second grand défi du nouveau président nigérian est d’ordre économique. Le pays est dépendant des revenus pétroliers. Les hydrocarbures représentent, en effet, 90 % des exportations et 80 % des recettes fiscales. La chute du prix du baril de pétrole à hauteur de 60 dollars contribue au ralentissement de la croissance économique nationale. Néanmoins, le Nigéria bénéficie d’une économie en cours de diversification. Les secteurs de la construction et des télécommunications devraient soutenir la croissance à hauteur de 5 % en 2015 (contre 6,5 % en 2014). Surtout, le principal challenge du président Buhari sera la lutte contre la pauvreté – endémique dans le nord de la fédération – et qui frappe aujourd’hui environ 60 % de la population de cet État ouest-africain (population vivant avec moins de 1,25 dollars par jour). En outre, les inégalités socio-économiques sont criantes et se calquent sur la répartition ethno-religieuse du Nigéria entre un Nord majoritairement pauvre, peuplé d’Haoussas musulmans et un Sud plus riche, comprenant les Igbos majoritairement chrétiens (ainsi que les Yorubas au sud-ouest).
La corruption, pierre angulaire des maux nigérians
À la croisée des défis sécuritaire et économique qui se dressent face à Muhammadu Buhari, la corruption possède un rôle clé. En effet, selon les données de la Banque mondiale, le Nigéria serait l’un des États les plus corrompus de la planète (191ème). Un fléau qui frappe toutes les strates de la société nigériane notamment l’armée, le secteur pétrolier et la classe politique. La corruption semble être un facteur aggravant la situation sécuritaire du pays car elle inhibe les capacités des forces armées nigérianes dont les soldats sous-payés se livrent à toutes sortes de trafics, extorsions et bavures. De même, la corruption mine aussi bien l’administration (évasion fiscale importante) que le secteur du BTP, sans compter les actes de piraterie, la pêche illégale et le narcotrafic en provenance d’Amérique du Sud. La corruption participe à l’augmentation de l’économie souterraine dans le pays (plus de 50 % de l’économie) ; l’informel demeurant bien souvent l’unique moyen de subsistance pour les populations pauvres.
On le voit : les espoirs placés par le peuple nigérian en Muhammadu Buhari sont immenses, à la mesure des défis à relever. Seulement, le temps du mandat présidentiel ne correspond pas à l’échelle de temps nécessaires pour assurer l’ensemble des transformations fondamentales du colosse nigérian aux pieds d’argile. Le cercle vicieux de la corruption qui s’autoalimente demeure le nœud qu’il s’agira de trancher sans toutefois faire écrouler le géant africain.