Ethiopie-Érythrée, la réconciliation ?
Le régime éthiopien a annoncé le mardi 5 juin avoir mis un terme à son litige frontalier de plus de vingt ans avec l’Érythrée. Malgré la signature de l’Accord de paix d’Alger du 12 décembre 2000, suite au conflit lié à la revendication de régions frontalières entre les deux Etats, le climat était resté extrêmement tendu et instable le long des 1000 kilomètres de frontière. Cette décision s’inscrit dans la ligne réformatrice du nouveau Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. Ce revirement opéré par l’Ethiopie permettra-t-il de mettre définitivement un terme aux tensions avec son ancienne province, l’Érythrée ?
La menace perpétuelle d’une guerre totale
La guerre éthio-érythréenne s’est déroulée de 1998 à 2000. La revendication de plusieurs régions frontalières, dont la région de Badmé, a notamment été à l’origine de cette confrontation armée entre les deux pays. L’Accord d’Alger de décembre 2000 a mis un terme à cette guerre. Deux ans plus tard, la Commission frontalière indépendante mandatée par l’ONU a délimité la frontière entre les deux Etats, et la région de Badmé a finalement été attribuée à l’Érythrée. Cette décision fut néanmoins immédiatement rejetée par l’Ethiopie qui continua donc d’occuper cette région.
Depuis, d’autres incidents militaires se sont produits entre les deux camps le long de la frontière, notamment en 2016, les deux régimes se rejetant constamment la responsabilité.
Aujourd’hui, une nouvelle orientation politique semble se dessiner. Ainsi, le gouvernement éthiopien a décidé de mettre pleinement en œuvre l’Accord de paix d’Alger. Cette volonté de se réconcilier avec le voisin érythréen avait déjà fait l’objet d’une promesse du Premier ministre éthiopien lors de son discours d’investiture en avril.
Les autorités éthiopiennes appellent de ce fait l’Érythrée à accepter une restauration de la paix entre les deux Etats. Le gouvernement érythréen, dirigé par Isaias Afwerki depuis l’indépendance du pays en 1993, n’a quant à lui pas encore réagi publiquement à l’appel émis par les autorités éthiopiennes. En effet, il semblerait qu’une telle annonce ne puisse avoir du crédit qu’après le retrait définitif des troupes éthiopiennes des territoires disputés.
Vers un tournant politique ?
Le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE), au pouvoir en Ethiopie depuis 1991, a été reconduit pour cinq ans lors des élections législatives du 25 mai 2015. A la tête de cette coalition, le jeune Premier ministre, Abiy Ahmed, semble apporter un nouveau souffle à la dynamique politique d’Addis-Abeba.
En effet, outre la décision d’accepter la mise en œuvre de l’Accord de paix d’Alger de 2000, le gouvernement a annoncé dans le même temps la levée de l’état d’urgence. Celui-ci avait été décrété mi-février à la suite de la démission de l’ancien Premier ministre Haile Mariam Dessalegn et des manifestations contre le régime. Le dialogue et l’ouverture semblent donc être les principaux atouts de la tendance politique menée par Abiy Ahmed.
En évoquant notamment la fin éventuelle de sa rivalité avec l’Érythrée, l’Ethiopie, peuplée d’environ 105 millions d’habitants, doit par conséquent jouer un rôle clé dans l’amélioration de la situation sécuritaire en Afrique de l’Est. La porosité de sa frontière accrue par le conflit au Soudan du sud fait cependant toujours craindre le risque d’infiltration de groupes venus d’Érythrée.
La position d’Asmara suite à cette annonce de paix aura donc un impact considérable sur la politique extérieure mais également sur la sécurité intérieure du régime éthiopien ; le gouvernement d’Addis Abeba étant fréquemment accusé de recourir à sa loi antiterroriste pour emprisonner des ressortissants érythréens.
La stratégie diplomatique opérée par l’Ethiopie reflète-elle les ambitions réelles du gouvernement d’Abiy Ahmed et sera t-elle fructueuse ? Reste-il qu’une des plus grandes inconnues concerne la réaction de l’Érythrée, petit pays où la dictature enrôle de nombreux jeunes dans l’armée et agite constamment la menace de l’envahisseur voisin.