L’illusion de la paix au Soudan du Sud 1/2
Le 5 août 2018, un accord de partage du pouvoir a été signé à Khartoum (Soudan) entre le président sud-soudanais Salva Kiir et son principal opposant, l’ancien vice-président Riek Machar. Si certains y voient une lueur d’espoir, d’autres n’en demeurent pas moins sceptiques. La guerre au Soudan du Sud, qui a éclaté en 2013, a vu défiler nombre de négociations et d’accords sans résultat concret. Cet article se propose d’analyser le conflit en deux temps, se focalisant d’abord sur son déroulement jusqu’à l’accord d’Addis-Abeba en 2015, pour se concentrer sur la situation qui s’en suivra jusqu’à celui de Khartoum.
Perspectives historiques
Considéré comme un Etat failli, le Soudan du Sud est le plus jeune Etat de la planète. A la suite de son indépendance du Soudan le 9 juillet 2011, le pouvoir est confié à des chefs rebelles, qui n’ont ni les compétences ni la volonté de créer les infrastructures et les services nécessaire au développement du nouveau pays. Ainsi, après avoir connu 2 longues guerres civiles[1], le Soudan du Sud sombre dans un nouveau conflit en décembre 2013.
Pour certains, les troubles naissent de tensions interethniques. A première vue, cet argument est difficilement réfutable. En effet, les deux hommes à l’origine du conflit sont le président Salva Kiir, et son vice-président Riek Machar. Le premier est Dinka, le second Nuer, les deux ethnies majoritaires du pays. Depuis cinq ans, les partisans des deux hommes se livrent une lutte armée sans pitié. Cependant, la réalité est bien plus complexe : les causes de ce conflit sont à chercher dans des différends personnels anciens, motivés par le contrôle du pouvoir et des ressources naturelles.
Une lutte pour le pouvoir pas si récente
C’est dès la seconde guerre civile que les tensions naissent entre Salva Kiir et Riek Machar. En 1984, ce dernier rejoint l’Armée de Libération des Peuples du Soudan (SPLA), principal groupe armé d’opposition au pouvoir central. Créé par John Garang – dont Salva Kiir est proche – un an auparavant, le groupe était à ses débuts un mouvement d’opposition politique non armé[2]. Il exprimait la volonté des peuples marginalisés du Soudan, au nord comme au sud et quelles que soient leurs origines, d’être plus intégrés à l’économie du pays et mieux représentés politiquement. Le fait que Machar soit Nuer et intègre ce mouvement créé par un Dinka, démontre que les différends ethniques ne sont pas la source même de la guerre.
Cependant, certains hommes forts du SPLA[3] ne tardent pas à se montrer en désaccord avec le leadership de John Garang, qui se bat pour l’égalité des peuples au sein d’un Soudan uni. Ils proposent alors de le remplacer par R. Machar, qui prendra la tête d’une nouvelle faction en 1991, le SPLA-Nasir, prônant l’indépendance du Sud. De violents affrontements entre les deux groupes auront lieu au cours des années suivantes, alors que le mouvement de Machar se rapproche de Khartoum[4]. Après plusieurs années de médiation et à la suite du protocole de Machakos (2002), les deux hommes forts de l’opposition se rapprochent. Lors de l’accord de paix global conclu en 2005[5], Garang et Machar sont respectivement nommés président et vice-président du Soudan du Sud. Suite à la mort brutale de John Garang[6], son poste est attribué à Salva Kiir. Lors de la période intérimaire (2005-2011) devant déboucher sur un référendum d’autodétermination, la région se voit en effet attribuer un gouvernement, un Parlement, et une administration propre. A l’indépendance, Kiir et Machar conserveront leurs titres à la tête du nouveau pays.
Les origines de l’embrasement
En 2012, les différends politiques entre Riek Machar et Salva Kiir prennent un tournant critique. Le président retire à R. Machar plusieurs de ses fonctions au sein du gouvernement. A l’été 2013, il est évincé de son poste de vice-président, et tout son gouvernement est destitué. Six mois plus tard, Machar annonce lors d’une conférence de presse qu’il présentera sa candidature aux élections présidentielles de 2015 contre Salva Kiir, qu’il accuse de dérives dictatoriales. Cette annonce attise les tensions au sein du parti au pouvoir[7], et un clan de soutien à chaque leader se crée. C’est à ce moment que la soif de pouvoir des deux hommes forts du pays prend progressivement un tournant interethnique.
La tension monte encore d’un cran lorsque le président accuse son second de coup d’Etat, et des affrontements armés éclatent à Juba, capitale du Soudan du Sud, entre la garde présidentielle et des soldats Nuers. Les jours suivants, les combats se propagent dans d’autre villes du pays, notamment à Bor, Malakal et Bentiu. Le conflit se transforme alors en nouvelle guerre civile, et durera 20 mois. Sept accords de cessez-le-feu sont signés durant cette période, mais tous seront rapidement rompus[8].
Le contrôle du pétrole, élément clé du conflit
L’or noir est primordial pour le Soudan du Sud, dont l’exportation représentait 98% des revenus du pays en 2011[9]. Si les principales zones de combats se situent autour des villes de Bor, Malakal et Bentiu, c’est parce que c’est précisément là où se trouvent les réserves de pétrole les plus importantes du pays. Or, la production a largement été affectée par le conflit, ainsi que par la baisse du prix du baril. 160 000 barils sont produits quotidiennement en 2015 contre 245 000 en 2011[10], ce qui se révèle dévastateur pour les finances de l’Etat.
En 2017, un rapport confidentiel de l’ONU révèle que les revenus du pétrole sont largement dépensés par le gouvernement pour financer armes, milices, et autres services de sécurité[11]. Les populations vivant près des zones pétrolifères subissent ainsi de nombreuses exactions de la part de milices financées par le gouvernement, conduisant à des déplacements de population massifs. Ce fait n’est pas nouveau, puisque divers rapports dénoncent que des évènements similaires se sont produits lors de la guerre civile précédente[12].
L’accord de paix d’Addis-Abeba
A l’été 2015 sous pression américaine, les dirigeants des pays membres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est (IGAD) se réunissent à Addis-Abeba afin d’encadrer des pourparlers de paix entre Kiir et Machar. L’Union européenne et l’ONU participent également au processus de négociations. Ces dernières avaient officiellement commencé en janvier 2014, mais n’ont jamais débouché sur des accords concrets. Le 26 août 2015, les deux hommes signent finalement un accord de paix, et Riek Machar reprend son poste de vice-président dans le gouvernement de transition. Le conflit aura fait plus de 50 000 morts et 1,6 million de déplacés[13].
[1] La première guerre civile se déroule entre 1955 et 1972, la seconde entre 1983 et 2002.
[2] La branche politique non armée du SPLA est le Mouvement de Libération des Peuples du Soudan (SPLM)
[3] Notamment Lam Akol
[4] Le président Omar el-Béchir considère la vision de R.Machar comme moins dangereuse pour ses ambitions personnelles : la sécession du sud lui permettrait de garder le pouvoir au nord, alors que l’idée d’un Soudan uni prônée par J.Garang le forcerait à quitter la tête du pays.
[5] Signé le 9 janvier 2005 à Nairobi (Kenya) entre le gouvernement soudanais et le SPLA
[6] John Garang meurt dans un accident d’hélicoptère le 30 juillet 2005
[7] Le parti au pouvoir est le SPLM
[8] Marc Lavergne, Comprendre la situation au Soudan du Sud, Le Monde Afrique, 14/03/2017
[9] Fonds Monétaire International, IMF Survey: South Sudan Faces Hurdles as World’s Newest Country, 18/07/2011
[10] Reuters, South Sudan oil revenue at $3.38 bln, hit by conflict and price falls, 03/01/2015
[11] Al Jazeera, South Sudan keeps buying weapons amid famine: UN, 17/03/2017
[12] Human Security in Sudan, The Harker Report, 01/2000
Christian Aid, The scorched earth: oil and war in Sudan, 03/2001
European Coalition on Oil, Unpaid Debt, 06/2010
[13] Reach Initiative, Return intentions of IDPs and the future of Protection of Civilian sites in South Sudan, 04/11/ 2015