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Géopolitique et renseignement à l’heure de la lutte anti-terroriste

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Géopolitique et renseignement intérieur ne sont pas forcément deux termes que l’on associe automatiquement l’un à l’autre. C’est pourtant un domaine qui est au cœur de leur travail, d’autant plus depuis ces dernières années. En effet, l’expansion du djihadisme islamiste a progressivement conduit à l’effacement de la frontière traditionnelle qu’il pouvait y avoir entre identification de la « menace intérieure » et de la « menace extérieure », obligeant les services à adapter leurs méthodes et élargir leurs champs d’actions.

Hybridation de la menace, nouvel enjeu pour le renseignement


University of Maryland, « Global terrorisme in 2017 », START, August 2018

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’équilibre géopolitique a connu deux bouleversements majeurs. Le premier a été initié par la fin de la Guerre Froide et d’un monde bipolaire dominé par les Etats-Unis et l’URSS. C’était une époque où les conflits résultaient principalement de l’opposition ou de l’affrontement de deux États et de leurs armées régulières. L’ennemi était donc connu et ses actions stratégiques et tactiques plus ou moins prévisibles. La contre-ingérence et la lutte contre la prolifération étaient jusqu’ici le cœur des missions des services de renseignements.

Le deuxième bouleversement majeur s’est produit le 11 septembre 2001, lors des multiples attentats perpétrés par Al-Qaida aux Etats-Unis. Cet évènement a marqué l’émergence, ou du moins la mise en exergue d’une menace dite « asymétrique ». Cette dernière se définit par l’opposition d’un combattant considéré comme « puissant », principalement caractérisé par un Etat et son armée régulière, face à un ennemi plus « faible » qui ne dispose pas des mêmes moyens techniques, tactiques et humains. Ces derniers sont aujourd’hui principalement représentés par les mouvements de guérillas et les groupes terroristes. L’ennemi est surtout imprévisible, avec des moyens certes moindres mais le rendant pourtant capable de préparer des actions et de former ses combattants de l’extérieur pour qu’ils agissent directement sur le territoire occidental. Depuis lors, le contre-terrorisme est devenu une mission primordiale pour l’ensemble des services de renseignement.

D’un certain point de vue, on peut considérer que les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher ont marqué un troisième bouleversement géopolitique majeur et l’apparition d’un nouveau modèle de « djihad international ». Désormais, même si la menace vient toujours de l’extérieur, l’ennemi est capable de recruter et de former des adeptes de l’intérieur, dans les pays cibles occidentaux, principalement en Europe, pouvant agir directement dans leur pays d’origine. Cette nouvelle stratégie terroriste est un succès pour le djihad islamiste puisqu’elle est à l’origine, depuis 2015, de la mort de 361 personnes sur le sol européen.

Les services de renseignements à l’heure d’un « djihadisme islamiste globalisé »

Le départ de citoyens étrangers choisissant d’être formés à combattre sur des théâtres de guerre auprès de groupes terroristes n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, l’Europe était jusque récemment relativement peu concernée. Le continent s’est retrouvé au cœur du problème au début des années 2010 lorsque les départs pour la Syrie et l’Irak se sont multipliés au rythme de l’actualité internationale.

Dans les faits, cette doctrine d’un « djihad global » ou « internationalisé », a été développée dès les années 1980 par Oussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri. Leur objectif idéologique prônait le rassemblement des combattants djihadistes musulmans dans le monde, prêts à lutter jusqu’à la mort contre l’impérialisme occidental, pour à terme rallier la population à l’établissement d’un califat régi par les lois islamistes de la Charia. Aboubacar al-Baghadadi, chef du groupe Etat islamique, n’a fait que se réapproprier cette dernière et l’a adaptée à une application fulgurante et poussée à un nouvel extrême qui a trouvé son apogée lors de l’autoproclamation du Califat sur le territoire irakien en mars 2014.

Le renseignement a dû assez brutalement s’adapter à cette mutation du terrorisme. Même si l’enjeu est resté au cœur de toutes les préoccupations internationales depuis 2001, pour de nombreux pays, les méthodes de lutte anti-terroriste et d’anticipation de la menace ont dû elles aussi évoluer.  Au premier plan, c’est la nécessité de renforcer la coopération des différents services de renseignements, intra-étatique ou internationaux, qui s’est rapidement imposée. En effet, si chaque service a une identité propre et des missions distinctes, l’hybridation de la menace contraint à la collaboration à différents degrés pour mener à bien le travail d’évaluation des crises. Par ailleurs, à l’ère des réseaux sociaux et des plateformes de diffusion, l’instantanéité et le tout connecté sont des failles sécuritaires qui ont jusqu’à récemment été sous évaluées. En ce sens, et grâce à une parfaite maitrise des outils de communication, la propagande menée par le groupe Etat islamique a rapidement enclenché un processus de radicalisation à grande échelle d’individus étrangers réceptifs à un discours idéologique calibré. Les canaux sont tellement nombreux et pour la plupart soumis à la loi de protection des données personnelles, qu’il est extrêmement difficile d’enrailler ce système.

Le modèle du renseignement français, nouvelle figure de proue de la lutte anti-terroriste


University of Maryland, « Global terrorisme in 2017 », START, August 2018

C’est certainement encore plus brusquement que d’autres services que le renseignement intérieur a dû s’adapter aux multiples mutations de la menace terroriste. En effet, depuis la multiplication des attaques sur le sol européen, le renforcement de la sécurité intérieure est au premier plan de la politique gouvernementale d’une majorité des pays européens. C’est particulièrement le cas pour la France, où le renseignement français est devenu depuis ces cinq dernières années, un modèle dans la lutte anti-terroriste. En effet, c’est le pays occidental qui a subi le plus grand nombre d’attentats depuis l’autoproclamation du califat en 2014. Douze attentats meurtriers y ont été perpétrés, causant la mort de 246 personnes et en blessant 900 autres.

Le sujet du terrorisme islamisme est extrêmement sensible. L’hyper médiatisation et la manipulation politique qui peuvent en être faites ont souvent placé la Direction Générale de la Sécurité Intérieure dans le viseur des critiques. Au centre des polémiques, le fait que les auteurs d’attaques sur le sol français aient toujours eu une « fiche S » inscrite au Fichier des personnes recherchées (FPR). Il s’agit pourtant avant tout d’un fichier de surveillance nationale aux relais européens et internationaux qui n’est pas uniquement dédié à l’identification des personnes radicalisées. Il a avant tout un rôle d’alerte et de centralisation d’informations qui permettront de remonter des filières et réseaux dangereux. C’est une stratégie que l’on peut considérer comme efficace puisqu’entre 2013 et 2018, 50 projets d’attentats ont pu être déjoués.

Aujourd’hui encore, il est difficile, voire impossible, de définir le profil type de l’apprenti djihadiste capable de passer à l’acte. Il n’existe surtout qu’une chaine de facteurs communs aux facteurs de probabilités plus ou moins importants mais rien n’absolu. Pour autant, le renforcement de l’arsenal à leur disposition est un objectif clair. La DGSI a ainsi récemment été désignée par le gouvernement français comme le « chef de file » de la lutte anti-terroriste. Augmentation du budget et des crédits, création de postes pour renforcer les équipes, développement de son propre système de traitement massif des données, ou encore simplification de certaines procédures judiciaires sont parmi les mesures qui ont été décidées ces dernières années. Au-delà du large travail opérationnel à gérer, les problématiques sont multiples : la question du retour de citoyens partis combattre au nom de l’EI, la potentielle infiltration de djihadistes dans les mouvements migratoires, la prise en charge des enfants nés en Syrie et en Irak, le sort réservé aux combattants français capturés et condamnés à la peine de mort par les kurdes, quid du statut des femmes parties rejoindre leurs maris sur ces territoires , etc. Il ne s’agit pas que d’anticiper le passage à l’acte et d’éliminer la menace, il faut aussi identifier les sources et les causes de ce phénomène pour essayer de l’enrayer. Là encore, le travail réalisé en amont par les services de renseignement est fondamental.

Sources :

https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/07/13/a-la-veille-d-un-week-end-tendu-le-gouvernement-presente-son-plan-d-action-contre-le-terrorisme_5330716_1653578.html

https://www.start.umd.edu/pubs/START_GTD_Overview2017_July2018.pdf

https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/03/30/de-2013-a-2018-la-france-au-rythme-des-attentats_5278453_3224.html

https://www.washingtonpost.com/world/2018/08/15/terrorist-attacks-are-quietly-declining-around-world/?noredirect=on&utm_term=.5d72a9549263

https://www.rts.ch/info/monde/8851365-plus-de-330-morts-dans-des-attentats-djihadistes-en-europe-depuis-2015.html

Myriam BENRAAD, « Jihad : des origines religieuses à l’idéologie », Idées reçues, 2018.

Olivier ROY, « Le djihad et la mort », Seuil, 2016

Boric TOUCAS, «  France’s Determined Struggle Against Salafi Jihadism », CSIS, 2018

 

 

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Eva Martinelli

Diplômée d’un Master 2 en Relations internationales spécialité sécurité et défense de l’Université de Grenoble et l’ILERI, Eva s’est spécialisée sur l’étude des problématiques géopolitiques de la Péninsule Arabique, et plus particulièrement sur les enjeux du conflit Yéménite.

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