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Moqtada al-Sadr : portrait d’un influent agitateur en Irak

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Moqtada al-Sadr, ancienne bête noire des États-Unis et agitateur de la rue irakienne, est sorti vainqueur des dernières élections législatives de mai 2018. Portrait d’un homme à l’influence majeure pour l’avenir de l’Irak.

Le descendant d’une famille de hauts clercs réformateurs

militants sadristes célébrant la victoire électorale du camp de Moqtada al-Sadr en Irak
Partisans sadristes en mai 2018

Moqtada al-Sadr est le descendant d’une lignée d’influents clercs chiites irakiens réformateurs, voire révolutionnaires. Ceux-ci ont durablement façonné la mobilisation islamique chiite en Irak. Le chiisme duodécimain est la confession majoritaire en Irak et a souffert jusqu’en 2003 d’une sous-représentation chronique au sein des instances gouvernementales. Ce système politique est hérité de la période de domination ottomane, au profit de la minorité sunnite.

Afin de doter les chiites d’une voix politique forte, le marja’ [1] Muhammad Baqir al-Sadr, proche parrain de Moqtada al-Sadr, développe tout un corpus théologique, politique et économique novateur [2]. Celui-ci rencontre une forte popularité auprès des populations chiites irakiennes. Il est l’un des cadres fondateurs du mouvement Da’wa en 1958, mais s’en éloigne vite pour proposer un programme davantage révolutionnaire [3].

Mort en 1980, son cousin et héritier spirituel, Muhammad Sadiq al-Sadr, perpétue la dynamique enclenchée par son aïeul. S’il est un temps proche du régime baasiste, il finit cependant par s’y opposer et est assassiné avec ses enfants en 1999. Ne reste comme survivant qu’un seul de ses fils, Moqtada al-Sadr, qui vit sous haute surveillance du régime jusqu’à sa chute en 2003.

Le principal opposant chiite à l’occupation américaine

Descendant de deux prestigieux dignitaires chiites, dans un système extrêmement codifié, Moqtada al-Sadr ne jouit pourtant pas d’une reconnaissance équivalente. Il est presque un inconnu lorsqu’il apparaît sur la sphère publique en 2003. Il profite d’une rare fenêtre d’opportunité entre l’annonce de l’invasion de l’Irak par la coalition internationale en 2003 et la chute effective du régime quelques mois plus tard. A ce moment, il conquiert en quelques jours ce qui deviendra son bastion, Saddam City (devenu Sadr City). Sadr City, ancien fief communiste, est un vaste quartier pauvre de Bagdad de deux millions d’habitants majoritairement chiites.

En 2003, il forme l’Armée du Mahdi, une milice composée de chiites issus des quartiers défavorisés. Celle-ci s’oppose vigoureusement à l’occupation étrangère et à la classe religieuse irakienne. Cette dernière est en effet considérée coupable de complicité avec les États-Unis et l’Iran. Se référant à une rhétorique nationaliste, al-Sadr adopte néanmoins une position ambigüe vis-à-vis de l’Iran et des sunnites irakiens. Il accuse le premier d’ingérence mais a bénéficié des moyens financiers et militaires iraniens au profit de sa milice. S’il a souhaité éviter l’affrontement confessionnel envers les sunnites, on l’accuse d’avoir permis de nombreuses exactions au cours de la guerre civile (2006-2007).

Finalement soumis militairement par les forces d’occupation, Moqtada al-Sadr entre dans une logique de rapport ambivalent avec l’État irakien. Il parvient à doter son mouvement de représentants au Parlement irakien ainsi qu’à la municipalité de Bagdad. Ces positions lui permettent de faire bénéficier à son mouvement d’importants capitaux financiers et politiques. Dans le même temps, il définit lui-même sa participation à la vie politique comme « une autre forme de résistance patriotique » [4].

La période 2014 – 2017 est marquée par la lutte contre l’Organisation de l’État islamique (OEI) et la déliquescence des institutions irakiennes. Au cours de cette période, le leader chiite rassemble chaque vendredi de nombreux partisans afin de manifester contre le gouvernement. Le 30 avril 2016, ceux-ci parviennent à pénétrer au sein de la « zone verte » ultra sécurisée de Bagdad qui regroupe les institutions et ambassades étrangères. Effectuant un geste symbolique fort, les manifestants vont aller occuper le Parlement.

Le triomphe d’un agitateur, arbitre et « faiseur de rois »

En mai 2018 sont organisées les premières élections législatives depuis la fin de l’occupation du pays par l’OEI. Ces élections sont marquées par de multiples accusations croisées de corruption et de fraudes. La mouvance sadriste apparaît néanmoins comme la première force politique du pays, avec 54 sièges de députés obtenus. Grâce à un discours fondé sur la critique d’une gouvernance jugée calamiteuse, Sadr parvient à fédérer l’adhésion des populations chiites. A l’instar de ses illustres aïeux, il incarne la contestation contre un système failli et profite d’une image populaire.

Le leader chiite s’oppose politiquement à Nouri al-Maliki, ancien Premier Ministre (2006-2014), jugé sévèrement pour sa politique sectaire. Il s’oppose de même à la coalition de mouvements chiites qu’il considère trop étroitement liés à l’Iran (Organisation Badr, Asaïb Ahl al-Haq, Kataëb Hezbollah…). Parallèlement, il a trouvé un allié de circonstance en la personne de Ali al-Sistani, l’influent marja‘ de Najaf. Assiégé par les miliciens sadristes en 2003, Sistani a pourtant trouvé en Sadr un puissant relais le rapprochant des masses populaires chiites.

Dans le contexte de montée des tensions dans la région du Golfe, Moqtada al-Sadr peut ainsi jouer un rôle déterminant pour l’Irak. L’impétueux leader reste capable de mobiliser les foules contre un gouvernement auquel son mouvement participe pourtant. Il est également en mesure de renverser l’actuel Premier Ministre au profit de son prédécesseur, Haider al-Abadi. Acteur central, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’échiquier politique, Moqtada al-Sadr s’est imposé comme un partenaire indésiré mais pivot de l’Irak avec lequel doivent composer des acteurs tels que les États-Unis ou l’Iran.

Sources

[1] Littéralement « source d’inspiration », les marja’ irakiens sont les plus hautes autorités religieuses du chiisme duodécimain.

[2] Parmi ceux-ci, la banque arabe non-usurière et la théorie politico-religieuse du wilayia al-fiqh appliquée par l’ayatollah Khomeiny.

[3] Faleh Abdul Jaber, The Shi’ite Movement of Iraq, Sadiq Books, 2003.

[4] International Crisis Group, Iraq’s Muqtada al-Sadr: Spoiler or Stabiliser?, Middle East Report n°55, 2006.

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Arnaud FORAY

Diplômé en Sociologie et philosophie politique à l'Université Paris 7 ainsi qu'en Défense, sécurité et gestion de crise à l'institut IRIS Sup', Arnaud Foray est spécialisé en analyse politique et géopolitique sur la région Moyen-Orient, en particulier sur la pensée d'Ibn Khaldûn et les mouvements islamiques en Irak, au Liban et sur la Palestine.

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