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Shinzô Abe : quel bilan des Abenomics transmet-il à Yoshihide Suga ?

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Alors que le secrétaire général du gouvernement Yoshihide Suga (菅 義偉), principal bras droit de Shinzô Abe, vient d’être élu à la tête du PLD et s’attend ainsi à être nommé Premier Ministre par la Diète, quel bilan peut-on tirer du mandat Abe à travers sa politique phare, les Abenomics ?

shinzo abe les yeux du monde
Shinzô Abe s’apprête à conclure son mandat après huit ans au pouvoir.

Shinzô Abe (安倍 晋三), comme cela a beaucoup été répété, détient le record de longévité au pouvoir en tant que Premier Ministre. Il est élu une première fois à ce poste en 2006. Il y demeure une année puis se retire notamment en raison de sa santé. Abe revient au pouvoir cinq ans après, en 2012. Le 28 août 2020, il annonce se retirer au 16 septembre en raison de l’aggravation de la maladie chronique dont il est atteint depuis l’enfance, une colite ulcéreuse.

Shinzô Abe présidait jusqu’à ce 14 septembre 2020 le Parti Libéral-Démocrate. Un parti conservateur, qui domine le pouvoir au Japon depuis sa création en 1955. C’est désormais Yoshihide Suga, secrétaire général du gouvernement, qui prend la tête du PLD. Il est ainsi quasiment certain d’être désigné par la Diète comme Premier Ministre. En effet, le PLD est majoritaire à la Chambre basse. Et ce vote prime sur celui de la Chambre haute dans la désignation du chef de l’exécutif. Avec l’arrivée imminente d’un nouveau dirigeant pour l’archipel, quel bilan faire des années Abe à travers les Abenomics ?

C’est « la » politique de relance de ces huit années au pouvoir. L’objectif pour Shinzô Abe est de contrer une tendance déflationniste ancrée et de consolider une croissance économique qu’il estime fragile. Les Abenomics se déploient en trois « flèches » principales (d’autres, liées au taux de naissance et à la santé, s’ajoutent en 2014) : politique fiscale flexible, relance budgétaire audacieuse et réformes structurelles sont au programme.

 

Trois flèches pour cibler une croissance robuste et de long terme

La politique monétaire a porté quelques fruits, sans pour autant atteindre son objectif. À la suite d’un accord avec la Banque centrale japonaise, celle-ci a augmenté la masse monétaire. S’en est suivi une dépréciation du yen et les coûts d’emprunts se sont vus réduits. Mais si cette mesure a permis un regain d’activité entrepreneuriale et de consommation, l’objectif initial d’une inflation à 2% n’a pas été atteint. Les entreprises ont pu bénéficier de cette dépréciation du yen à l’international, mais la population japonaise, vieillissante, habituée à la déflation et à épargner, n’a pas assez augmenté sa consommation.

La politique de relance budgétaire de grande ampleur a vu, dans le contexte des Jeux Olympiques de Tokyo, de grands chantiers de modernisation s’initier. Le plan prévoyait également des aides à l’achat immobilier, une légère réduction de l’impôt sur les sociétés ou encore une baisse temporaire de l’impôt sur le revenu. Au final, le plan de relance approuvé fut l’équivalent de 3% du PIB. Cela représente environ 18,6 trillions de yens ou 154 milliards d’euros injectés dans l’économie japonaise. Mais là encore, la consommation intérieure n’a pas assez suivi.

Les réformes structurelles prévoyaient notamment une ouverture à l’international. Abe a multiplié les accords de libre-échange, parvenant même à conclure le TPP sans les États-Unis en 2018. L’énergie, la place des femmes dans la population active, l’agriculture ou encore le marché du travail faisaient également partie de cette troisième flèche. Mais le gouvernement n’a pas vraiment réussi à la décocher. Certains aspects ont vu une amélioration, sans que ce soit suffisant (la venue de travailleurs étrangers face à la pénurie de main-d’œuvre, l’activité des femmes). Mais Abe a échoué à réformer d’autres secteurs (l’énergie entre autres). Ces réformes structurelles, qui constituaient une stratégie de croissance à long terme, n’ont donc pas fait leurs preuves.

Jeux olympiques Tokyo 2020
Le contexte des Jeux Olympiques a boosté les grands chantiers de modernisation. (Crédits. Jessy Périé)

 

Un bilan mitigé, et un virus qui porte le coup de grâce ?

La COVID-19 a bien évidemment porté un coup à ces mesures déjà contrastées dans leurs résultats. À l’été 2020, le gouvernement Abe avait notamment initié une politique de promotion du tourisme intérieur. Elle visait à relancer la consommation. Mais il fallut rapidement l’annuler suite à la recrudescence de personnes infectées.

Yoshihide Suga se positionne aujourd’hui en successeur fidèle de Shinzô Abe. La priorité sera toujours et encore la relance économique, et l’endiguement de la propagation du virus. Les relatifs résultats des Abenomics n’ont pas permis à l’économie japonaise d’éviter la récession au premier trimestre 2020, suite à un ralentissement observé fin 2019 après une période de croissance.

 

Des contraintes de long cours, qui demeurent

Le Japon fait face à des contraintes connues et difficilement inversables : un déclin démographique, des habitudes déflationnistes, une pénurie de main-d’œuvre ou encore une productivité de travail faible en raison d’un système presque inchangé depuis l’après-guerre. Le contexte international, entre tensions commerciales et ralentissement économique, complique l’équation.

La dette publique brute du Japon s’est également alourdie. Elle a connu une augmentation de 70% à près de 240% du PIB entre 1990 et 2019. Il s’agit de la dette publique la plus élevée des pays de l’OCDE. Plusieurs crises (éclatement de la bulle dans les années 90, crise financière de 2008, catastrophe de Fukushima) ont joué. Mais la politique fiscale avantageuse des Abenomics et l’augmentation des dépenses publiques ont aussi pesé.

L’archipel demeure néanmoins la troisième économie mondiale, derrière les États-Unis et la Chine. Il est également leader dans la recherche et l’innovation, avec la première place dans la fourniture et l’export de robots industriels. Dans sa politique étrangère, Shinzô Abe s’était investi afin de promouvoir un espace indo-pacifique et d’améliorer les relations diplomatiques, avec les États-Unis, l’Union européenne mais aussi, dans une moindre mesure, la Chine. Le contexte inédit de la COVID-19 tend à aggraver les facteurs problématiques de l’économie japonaise. La tâche de Yoshihide Suga s’avère donc très grande.

 

Sources :

Direction générale du Trésor, « Bilan macro-économique du Japon », 31 juillet 2020.

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Jessy PÉRIÉ

Diplômée d'un Master 2 en Géopolitique et prospective à l'IRIS, Jessy Périé est analyste géopolitique et journaliste, spécialisée sur la zone Asie orientale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions de politique extérieure chinoise et japonaise.

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