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Liban : après l’explosion, les craintes d’une crise alimentaire majeure

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Le 4 août dernier, une double explosion d’une violence inouïe dévastaient Beyrouth, causant près de 200 morts 6 500 blessés. Le port et plusieurs quartiers de la capitale libanaise ont été détruits, Beyrouth déclarée comme “ville sinistrée”, enfonçant un peu plus le Liban dans le chaos. Une crise alimentaire majeure menace désormais le pays du Cèdre.

Explosion du port de Beyrouth
Le 4 août dernier, l’explosion du port de Beyrouth a enfoncé le Liban dans la crise. Crédits photo : STR / AFP.

Un pays dans l’impasse de la crise

Très touché par la pandémie de Covid-19, le Liban traverse depuis octobre 2019 une crise économique, politique et sociale. Avant la Covid, la Banque mondiale estimait que le taux de pauvreté au Liban attendrait 40% d’ici fin 2020. L’arrêt partiel de l’économie, privée de sa manne touristique (6% du PIB) en raison de la pandémie de coronavirus a plongé l’économie libanaise dans la récession. Le taux de pauvreté s’élève désormais à 45%.

La dette publique de l’État, à hauteur de 78 milliards d’euros, représente 170% du PIB du Liban. La BBC explique ainsi que cette dette était la troisième plus élevée au monde avant la pandémie. La monnaie libanaise, indexée sur le dollar depuis 1997, a perdu plus de cinq fois sa valeur en l’espace de cinq mois. L’hyperinflation est devenue une préoccupation majeure. Le taux d’inflation atteignait près de 90% sur un an en juin. En mai, les prix de la nourriture ont augmenté de 190% par rapport à mai 2019. Les matières textiles ont subi une hausse de 172% sur la même période.

En défaut de paiement depuis mars 2020, le pays du Cèdre, miné par la corruption, le clientélisme et le népotisme, est secoué par les manifestations qui réclament le départ d’une élite politique corrompue. Le 10 août, la colère populaire a conduit à la démission du gouvernement.

Un coup fatal à la sécurité alimentaire déjà précaire du Liban

En sus de la crise, l’explosion soulève des inquiétudes quant à la sécurité alimentaire du pays. Selon l’ONU, plus de la moitié de la population libanaise pourrait manquer d’alimentation de base d’ici à la fin de l’année. Plus grand port maritime du Liban et l’un des plus fréquentés de la Méditerranée orientale, le port de Beyrouth a été soufflé par l’explosion. Cette dernière a notamment endommagé le plus grand silo à grains du pays et détruit 15 000 tonnes de céréales.

Alarmiste, le gouvernement libanais avait déclaré après l’explosion que le Liban ne possédait que 45 jours de stock de blé. Or, le blé et ses produits dérivés constituent une composante indispensable de l’alimentation libanaise. Si les silos détruits ne contenaient que 15 000 tonnes de céréales, loin de leur capacité totale de 120 000 tonnes, quatre navires important 28 000 tonnes de blé n’avaient pu décharger leur cargaison. Le ministre de l’Économie, Raoul Nehmé, a de plus indiqué que le blé entreposé dans les silos non-détruits par l’explosion était devenu impropre à la consommation, laissant craindre une pénurie de farine.

Le port de Beyrouth, principal point d’entrée des importations libanaises

La catastrophe alimente ainsi les craintes de pénuries alimentaires dans un pays déjà sous le choc de la crise économique. La double explosion a mis en évidence le rôle majeur du port de Beyrouth pour l’économie libanaise, tout comme sa place stratégique pour l’équilibre géopolitique de la région. Depuis longtemps, les analystes tirent la sonnette d’alarme à propos de la dépendance libanaise à un seul port de déchargement, créant un risque d’approvisionnement important. Depuis la fermeture des routes commerciales terrestres transitant par la Syrie à cause de la guerre, l’activité du port de Beyrouth est en hausse constante. 70% des importations du Liban transitent par Beyrouth, et 85% des céréales du pays y sont stockés. Or, le Liban importe la quasi-totalité de ses ressources alimentaires (80%).

La destruction du port de Beyrouth inquiète également les pays voisins. La Syrie est par exemple fortement dépendante de l’acheminement des denrées alimentaires et des médicaments depuis Beyrouth. La reconstruction du port s’annonce lente, il ne sera pas opérationnel avant des mois. Or, les solutions alternatives manquent. Dans l’immédiat, le trafic maritime est détourné vers les ports de Tripoli, deuxième ville du pays, Sidon et Tyr. Le port de Tripoli, en particulier, assure temporairement la relève. D’une superficie totale de 3km², il est cependant trois fois moins important que le port de Beyrouth. Si le détournement des flux d’hydrocarbures ne pose pas de problème majeur, la capacité du terminal dédié aux conteneurs est limitée. Il en va de même pour les importations de blé, le port de Tripoli ne possédant pas d’équipement de stockage.

Infographie de l'AFP sur le port de Beyrouth suite à l'explosion
Le port de Beyrouth était le centre névralgique du commerce extérieur libanais. Crédits photo : AFP.

Réduire la dépendance aux importations étrangères

Les Libanais plaident désormais pour une réorganisation des ports libanais. Pour l’expert Samir El-Daher, interviewé par le journal Le Monde, il faut réaménager le port de Beyrouth mais aussi rendre complémentaire les différents ports du Liban. Des travaux pour la modernisation et l’agrandissement du port de Tripoli étaient déjà en cours. Tripoli doit ainsi devenir la principale porte d’entrée pour les marchandises à destination d’une future Syrie reconstruite.

Le pays du Cèdre devra aussi réduire sa forte dépendance aux importations, notamment alimentaires. Les importations alimentaires du Liban représentent environ 6% du PIB du pays, le classant parmi les plus dépendants du monde. En mai 2020, le groupe de réflexion Triangle Reserch signalait, dans un rapport, l’insécurité alimentaire croissante au Liban. Le think-tank soulignait : “la pénurie de devises en cours a rendu les importations beaucoup plus chères, exposant les limites critiques de la dépendance écrasante aux importations”.

En juillet, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avait placé le Liban parmi 27 pays « menacés par une crise alimentaire suite au Covid-19« . L’organisation craignait une “insécurité alimentaire généralisée” en raison d’une faible production céréalière nationale (20%). En outre, la crise économique ralentissait déjà les importations de céréales. Fin août, l’ONU n’a fait que confirmer ces craintes.

Le chef de la Commission économique et sociale de l’ONU pour l’Asie occidentale (CESAO), Rola Dashti, a intimé le gouvernement libanais de “prendre des mesures immédiates pour empêcher une crise alimentaire”, en priorisant la reconstruction des silos à grains endommagés. Il a aussi enjoint le Liban à “intensifier la surveillance des prix des denrées alimentaires, fixer un plafond pour les prix et encourager les ventes directes des producteurs locaux aux consommateurs.

L’Europe à la rescousse du Liban

Le coût des dégâts de l’explosion pourrait s’élever à 15 milliards de dollars. La communauté internationale s’est mobilisée pour venir en aide au Liban. Lors d’un sommet organisé par la France le 9 août, les donateurs internationaux ont promis 253 millions d’euros d’aide. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a promis de distribuer des paniers alimentaires à 50 000 libanais pour les six prochains mois. Un bateau transportant 25 000 tonnes de blé devrait partir de Nantes en ce mois d’octobre.

Avec la France en tête, l’Union Européenne s’impose comme le premier donateur mondial pour le Liban. Mercredi, l’UE s’est dite prête à aider à la “reprise économique” du Liban avec un financement à hauteur de 63 millions d’euros. Le mécanisme européen de protection civile et opérations d’aide humanitaire met en œuvre cette aide à destination des populations les plus précaires – les réfugiés palestiniens et syriens notamment qui représentent 30% de la population libanaise.

Au-delà de la solidarité symbolique, l’UE réclame des réformes ; comme le Fonds monétaire international (FMI) avec qui les négociations piétinent depuis plusieurs mois. Cette exigence divise la classe politique et pose la question de la résolution de la crise à long terme. L’aide céréalière européenne est aussi stratégique, alors que le blé libanais provient majoritairement de Russie et d’Ukraine. L’AFP et le chercheur de l’IRIS, Sébastien Abis, faisaient mention fin août d’une “diplomatie du blé”, l’acheminement de céréales européennes étant décisive pour “construire une dimension de sécurité dans le bassin méditerranéen et atténuer l’instabilité géopolitique d’un espace qui n’en manque pas”.

Vers un drame humanitaire ?

Le Liban fait aujourd’hui face à une urgence humanitaire. La Cesao a appelé la communauté internationale à “donner la priorité et à étendre les programmes de sécurité alimentaire ciblant les réfugiés et les pays hôtes, pour faire face à la vulnérabilité croissante et dissiper des tensions sociales potentielles”.

En plus de la crise alimentaire, le système de santé libanais a été fortement impacté par l’explosion. Déjà mis à rude épreuve par la Covid, le Liban a perdu trois hôpitaux dans la catastrophe. Deux autres établissements ont subi d’importants dommages. L’explosion a détruit 17 conteneurs de fournitures médicales essentielles. Un incendie a aussi ravagé un entrepôt utilisé par la Croix Rouge internationale pour stocker des colis alimentaires. “L’explosion et l’incendie auront indéniablement un impact sur l’aide humanitaire du CICR, que ce soit au Liban ou en Syrie”, a averti le CICR.

Multiformes et sans espoir de résolution à court terme, la crise au Liban pourrait encore s’aggraver, l’échec de Mustapha Adib à former un nouveau gouvernement réformiste ouvrant une nouvelle phase d’incertitudes politiques.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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