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Pourquoi le Liban n’a toujours pas de gouvernement ?

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Désigné il y a six mois pour former un gouvernement, Saad Hariri n’est toujours pas parvenu à composer un cabinet. Faute d’accord avec le Président Aoun sur la composition de ce dernier.

Le 10 août, 2020, six jours après la tragédie du port de Beyrouth, le Premier ministre Hassan Diab annonçait sa démission. Après l’échec de son éphémère successeur, Mustapha Adib, à former un gouvernement, Saad Hariri était de nouveau désigné Premier ministre. Le leader sunnite retrouvait ainsi un poste dont il avait été chassé un an plus tôt par la rue libanaise. Depuis, les nombreux sujets de tension qui divisent la classe politique conduisent les tractations dans une impasse.

Composer avec Aoun… 

Au Liban, le Premier ministre désigné Saad Hariri ne parvient pas à s'accorder avec le Président Michel Aoun sur la composition du gouvernement
Le Premier ministre désigné Saad Hariri

Plusieurs points opposent Hariri au président Aoun. Tout d’abord, ce dernier souhaite disposer d’un tiers de blocage au sein du cabinet. En effet, l’article 69 de la Constitution libanaise stipule qu’un gouvernement est démissionnaire si plus d’un tiers des ministres présentent leur démission. En choisissant plus d’un tiers des ministres, Aoun pourrait ainsi contrôler, dans une certaine mesure, l’action de Hariri. Cela explique le refus catégorique de ce dernier concernant cette condition.

Autre sujet de tension entre les deux hommes : la volonté de Aoun d’imposer la présence de son gendre Gebran Bassil dans les négociations. Chef du Courant Patriotique Libre (CPL), parti fondé par Aoun, Bassil est depuis plusieurs mois en froid avec Hariri. Bien que très impopulaire auprès de nombreux libanais, Bassil apparaît comme le candidat naturel du camp aouniste pour l’élection présidentielle de 2022.

Un litige oppose également les deux parties sur la répartition des portefeuilles de l’Intérieur et de la Justice. A l’instar d’autres leaders politiques libanais, Hariri soupçonne les aounistes de vouloir se servir des ces deux ministères pour mener une opération anti-corruption visant exclusivement leurs adversaires. Enfin, la composition du gouvernement devant respecter les équilibres confessionnels, Aoun exigerait également de choisir lui-même les ministres chrétiens.

… et le Hezbollah 

Le poids considérable du parti chiite sur la scène politique libanaise complexifie davantage l’équation qui occupe Aoun et Hariri. Il n’est d’ailleurs pas étranger au retour au premier plan de ce dernier. Le nom de Nawaf Salam, ancien représentant du Liban à l’ONU, circule à chaque changement de Premier ministre. Sa neutralité et son parcours en avaient fait le favori d’une large partie des manifestants, en 2019. Le jugeant cependant trop proche des Occidentaux, le Hezbollah s’est toujours opposé à sa nomination, lui préférant Hariri, son meilleur ennemi.

Alors que Saad Hariri souhaite nommer des ministres indépendants des partis confessionnels libanais, le Hezbollah rejette cette option. Lors de la Thawra (révolution) libanaise de 2019-2020, manifestants et partis laics réclamaient déjà la constitution d’un gouvernement composé de technocrates indépendants des partis confessionnels. Cette revendication avait été enterrée par le Hezbollah, le CPL et Amal. Les ministres nommés en janvier 2020 dans le gouvernement Diab étaient en effet parrainés par ces trois partis.

Aux considérations nationales déjà complexes, le cas du Hezbollah vient ajouter des considérations internationales. Le parti pro-iranien reste inflexible depuis plusieurs mois sur le fait que le ministère des Finances revienne à un chiite. Dans un contexte de crise économique majeure au Liban, cette revendication pourrait compromettre le versement des aides internationales. En effet, l’influence qu’exerce l’Iran sur le pays du Cèdre par le biais du Hezbollah est intolérable du point de vue de certains Etats. Parmi ces derniers, citons les Etats-Unis, mais également l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis ou encore l’Egypte. Le fait que les Finances soient gérées par une personnalité validée par le tandem chiite Hezbollah-Amal pourrait donc dissuader certains Etats d’apporter leur soutien au Liban. Ainsi, Hariri subit une forte pression de la part de ses alliés, Egypte en tête, qui le somment de ne pas céder aux conditions de Aoun et du Hezbollah.

Une initiative française à contresens ? 

En août puis en septembre 2020, Emmanuel Macron se portait au chevet d’un Liban meurtri par l’explosion du port. Face aux dirigeants libanais, il exigeait des réformes structurelles, en échange des aides du FMI. La création d’un gouvernement de mission figurait également en tête des demandes du président français. Quel bilan tirer de l’action diplomatique française, huit mois plus tard ? Paradoxalement, malgré un discours très dur à l’égard des dirigeants libanais, l’initiative d’Emmanuel Macron a contribué à remettre en selle ces mêmes dirigeants, conspués par la rue. Cela a également marginalisé les acteurs du mouvement de contestation et la société civile.

Pour appuyer la formation d’un nouveau gouvernement, Macron a en effet consulté prioritairement les chefs communautaires, les poussant à s’accorder sur un nom. C’est ainsi que Mustapha Adib était nommé Premier ministre, le 31 août. Proche du milliardaire tripolitain Najib Mikati, réputé corrompu, Adib incarnait bien plus la continuité que la rupture. Après sa démission, la classe politique s’accordait à nouveau sur l’un de ses représentants, Saad Hariri. L’homme d’affaires représente une certaine garantie pour les intérêts français au Proche-Orient. Dire qu’il ne fait pas l’unanimité auprès des Libanais serait pourtant un euphémisme. Sa nomination a été vécue comme un retour à la case départ pour les contestataires. Elle a sans grande surprise débouché sur le retour des batailles politiciennes, mêlant les enjeux libanais et internationaux.

Alors que la vieille garde libanaise tente de trouver une formule gouvernementale, la population continue de subir la crise économique de plein fouet. La livre libanaise est en chute libre par rapport au dollar. La moitié des Libanais vivent désormais sous le seuil de pauvreté.

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Edgar VAUQUELIN

Edgar Vauquelin est diplômé d'un Master 2 en science politique à l'IEP d'Aix-en-Provence. Il s'intéresse aux questions politiques et sécuritaires inhérentes au Moyen-Orient.

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