Les enjeux des législatives libanaises
Le 15 mai 2022, les électeurs libanais seront appelés aux urnes pour renouveler les 128 députés du parlement. Après la Thawra de 2019-2020 et l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, ce scrutin arrive dans un contexte de défiance grandissante vis-à-vis des partis traditionnels et de leurs leaders. Alors que le pays est en proie à une crise économique et sociale sans précédent, ces élections pouvaient apparaître comme une opportunité pour des forces politiques nouvelles d’effectuer une percée. Elles pourraient finalement déboucher sur une simple redistribution des cartes entre partis confessionnels. Etat des lieux de la situation au sein des différents camps.
A partir de la Révolution du Cèdre de 2005, déclenchée par l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, et qui avait débouché sur la fin de l’occupation syrienne au Liban, le paysage politique libanais a été pendant de nombreuses années divisé entre l’Alliance du 8 Mars et celle du 14 Mars. Alors que le 8 Mars rassemblait le Hezbollah et ses alliés, proches de la Syrie et de l’Iran, le 14 Mars regroupait les partis revendiquant une volonté de rendre sa souveraineté au Liban, face aux ingérences iraniennes notamment. Si ces clivages n’ont pas totalement disparu, la solidarité au sein des deux blocs s’est largement délitée depuis plusieurs années. Au gré des coalitions gouvernementales et des alliances électorales entre les différents partis.
Des élections sans Hariri
L’échéance de mai sera quoi qu’il arrive marquée par un événement majeur : l’absence de candidat représentant le courant du Futur. En effet, le 24 janvier dernier, Saad Hariri, leader du premier parti au sein de la communauté sunnite, provoquait un séisme en annonçant son retrait de la vie politique. Premier ministre lors du déclenchement de la Thawra en octobre 2019, les contestataires l’avaient poussé à la démission.
De nouveau désigné Premier ministre un an plus tard, il avait finalement renoncé à former un gouvernement en juillet 2021, suite à l’échec de ses négociations avec le président Aoun. Hariri était lâché depuis quelques années par l’Arabie saoudite. Le royaume ne voyant plus en lui un rempart efficace face au Hezbollah et à l’influence iranienne au Liban. La décision de Hariri pourrait ainsi être interprétée comme une volonté délibérée de créer un vide politique au sein de la communauté sunnite, afin de mettre son ancien parrain régional au pied du mur.
Hariri a ainsi donné aux membres de son parti la consigne de ne pas se présenter, le Futur spécifiant que ceux de ses membres qui souhaiteraient être candidats devraient le faire en tant qu’indépendants, et quitter le parti. Pourtant en désaccord avec cette stratégie, Fouad Siniora, ancien Premier ministre et faucon du Futur, a lui-même renoncé à sa candidature, sous la pression de Hariri. L’actuel Premier ministre Najib Mikati a également renoncé à se présenter. Tout comme Nawaf Salam, ancien ambassadeur du Liban à L’ONU. Ce dernier était pourtant la seule figure sunnite susceptible de fédérer la société civile, grâce à son indépendance. Le retrait de Saad Hariri pourrait ainsi avoir pour conséquence une démobilisation de l’électorat sunnite.
Confrontation 8 Mars-14 Mars
En l’absence du Futur, Samir Geagea, chef du parti chrétien Forces libanaises (FL), tentera d’apparaître comme la première figure anti-Hezbollah. Les FL espèrent ainsi capter une partie du vote sunnite sur leurs listes. Une option qui conviendrait parfaitement au pouvoir saoudien, qui soutien le parti. En octobre dernier, après les affrontements armés ayant opposés des membres du Hezbollah à des partisans FL à Tayouné, des affiches de soutien à Geagea étaient placardées à Tripoli, grande ville sunnite du nord. On y voyait le leader chrétien en compagnie de roi Salmane d’Arabie saoudite.
Le désarmement du Hezbollah, en vertu de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU, reste le grand cheval de bataille de Geagea. L’alliance des FL avec le PSP du leader druze Walid Joumblatt permet au 14 Mars de maintenir une certaine unité. Les FL pourraient devenir à l’issue des élections le premier parti chrétien, devant le Courant Patriotique Libre (CPL).
Fondé par Michel Aoun et actuellement dirigé par Gebran Bassil, le CPL fut la première cible des manifestants en 2019. Voyant sa popularité s’effondrer, il pourrait perdre plusieurs sièges au Parlement. Un problème pour le Hezbollah. En effet, le CPL est depuis l’accord de Mar Mikhael de 2006 le principal allié chrétien du Hezb. Soucieux de conserver la majorité parlementaire dont il dispose aux côté de ses alliés du 8 Mars, le Hezbollah a donc déployé ses efforts au cours des derniers mois pour limiter les pertes du CPL. C’est sous son influence que le CPL et le parti Amal de Nabih Berry ont mis de côtés leurs divergences, pour faire listes communes dans plusieurs circonscriptions.
Les partis alternatifs divisés
Autre interrogation à l’approche du vote, la capacité des partis issus de la société civile à effectuer une percée. En 2018, malgré leur alliance au sein de la campagne Koullouna Watani, ces derniers n’avaient remporté qu’un seul siège. Le contexte est cette fois différent, après la Thawra de 2019, et la montée du dégagisme à l’encontre de l’establishment politique . D’après un sondage réalisé en décembre 2021, 25% des Libanais envisageaient de voter pour une liste indépendante. La forte mobilisation des Libanais résidant à l’étranger, dont plus de 225 000 se sont inscrits sur les listes électorales (près du triple par rapport à 2018), pourrait également jouer en leur faveur.
Toutefois, des mouvements comme Madinati, Citoyens dans un Etat ou le Bloc national ne sont pas parvenus à se réunir. Plusieurs obstacles ont empêchés la convergence. Conflits d’égos, désaccords économiques… Et divergences sur la possibilité de s’allier ou non avec de vieux partis se réclamant désormais de l’opposition, à commencer par les Kataëb. C’est donc en ordre dispersé qu’ils s’avanceront, les négociations pour des listes communes ayant échouées dans la plupart des circonscriptions. Cette division pourrait enterrer les chances des partis alternatifs.
Il est enfin à noter que la tenue des législatives n’est pas assurée. Des spéculations sur un report se font entendre depuis plusieurs mois. Si le scrutin a lieu, les nouveaux équilibres parlementaires qui en résulteront seront déterminants pour la formation du prochain gouvernement. C’est également le nouveau parlement qui élira le futur président de la République libanaise. Le mandat unique de Michel Aoun arrivera à son terme en octobre 2022.