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Addis-Abeba bientôt en guerre ?

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La prise des villes de Dessie et de Kombolcha par les Tigray Defence Forces (TDF) ouvre la voie pour les rebelles vers Addis-Abeba, la capitale éthiopienne.

Addis-Abeba encerclée ?

La ville de Dessie, prise par les Forces de Défense du Tigré

Depuis désormais un an, le gouvernement éthiopien et l’armée éthiopienne affrontent les groupes armés de la province du Tigré au nord du pays. Malgré les frappes répétées par les forces aériennes éthiopiennes sur Mekelle, la capitale tigréenne, les TDF continuent leur avance. Début novembre, ils prennent la ville de Dessie, puis celle de Kombolcha. Petit à petit, les TDF prennent ainsi le contrôle de la principale route reliant le Tigré à Addis-Abeba, via la province Amhara[1].

Les TDF sont par ailleurs alliés avec un autre groupe insurgé du sud du pays, l’Oromo Libération Army. L’OLA est principalement située dans la province Oromo, au sein de laquelle se trouve Addis-Abeba. Toutefois, le groupe dit avoir pris la ville de Kemise dans la province Amhara, au sud de Kombolcha. La stratégie des deux groupes alliés est d’encercler Addis-Abeba[2].

En réponse, le gouvernement a instauré l’état d’urgence dans toute l’Éthiopie[3]. Le Premier ministre a également appelé la population à enregistrer les armes que chacun possède. D’un côté, c’est un moyen de contrôler toute personne suspecte d’insurrection. Le gouvernement craint un soulèvement des populations Oromos et Tigréennes dans la capitale ou dans les villes de la province Amhara. De l’autre, le Premier ministre appelle la population à se protéger et se battre contre les groupes rebelles. L’état d’urgence fait également craindre des arrestations arbitraires massives, comme c’est déjà arrivé depuis le début de la guerre.

Isolement éthiopien

Dans cette crise, l’Éthiopie est largement isolée. Cet isolement est notamment le résultat des nombreux crimes de guerre commis par l’armée éthiopienne. Famine organisée par le gouvernement et blocage de l’aide humanitaire, viols de masse, nettoyages ethniques, arrestations arbitraires contre la population civile, torture… L’armée et le gouvernement éthiopiens ont brillé par leur cruauté durant cette guerre[4]. Une cruauté qui tranche d’autant plus que le Premier ministre Abiy Ahmed est nommé Prix Nobel de la Paix en 2018 pour sa réconciliation avec l’Erythrée. Aujourd’hui, son seul allié réel est l’Érythrée. Les États-Unis n’ont cessé d’émettre des critiques, puis des sanctions contre le régime éthiopien. La dernière en date est l’exclusion de l’Éthiopie de l’African Growth and Opportunity Act, donnant des avantages commerciaux à Addis-Abeba[5]. Face aux sanctions et critiques internationales, l’Éthiopie s’est enfoncée dans son isolement en expulsant par exemple des représentants des Nations Unies[6].

Quel avenir pour l’Ethiopie ?

Il est bien trop tôt pour connaître l’issue finale du conflit. Si une intervention internationale semble difficile à concevoir, plusieurs pays surveillent la situation.  C’est le cas de l’Érythrée qui pourrait intervenir, mais aussi du Kenya, du Soudan ou de l’Égypte. Une solution politique est totalement inenvisageable à ce jour, le gouvernement a trop cherché une destruction totale de l’ennemi qu’il n’a pas les moyens de mettre en œuvre. En revanche, on observe des évolutions sur des enjeux plus locaux.

L’Éthiopie est un pays fédéral, où chaque province a son propre gouvernement, sa propre armée. La plupart des provinces portent le nom de l’ethnie qui y est majoritaire, et officiellement, chaque province a le droit de faire sécession. La piste d’une implosion de l’Ethiopie est parfois évoquée, et on pourrait penser à une sécession du Tigré. Celle-ci parait pourtant improbable : un Tigré indépendant isolé entre deux ennemis, amhara et érythréen, aurait de grandes difficultés pour survivre. C’est d’ailleurs cet enclavement qui cause la famine de la province depuis un an. De plus, l’alliance des TDF avec l’OLA mais également avec d’autres groupes armés d’autres provinces montre que les TDF pourraient constituer une coalition à l’échelle nationale, comme ils l’ont fait de 1991 à 2018 avec des résultats plus que mitigés.

Pour les populations des périphéries, il y a une réelle opportunité dans cette guerre de renégocier leur position. Les TDF sont actuellement en train d’augmenter la taille de leur territoire. En cas de compromis (improbable actuellement), le Tigré serait probablement plus grand qu’il ne l’était avant la guerre, au détriment de la province Amhara. L’OLA peut également négocier une meilleure place pour les Oromos, largement persécutés depuis des décennies. D’autres peuples, comme les Qemant, petit groupe ethnique souvent lié aux Amharas, pourraient demander une autonomie[7]. A défaut de savoir qui va gagner quoi dans cette guerre, une recomposition des territoires, des identités et des contrôles de ressources naturelles ou étatiques est en cours.

 

Sources :

[1] Tigrayan and Oromo forces say they have seized towns on Ethiopian highway, Reuters, 1 Novembre 2021

[2] Separatists from Ethiopia’s Oromia region plan to advance on Addis Ababa — media, TASS Russian Agency, 2 Novembre 2021

[3] Ethiopia declares state of emergency as Tigrayan forces gain ground, Reuters, 2 Novembre 2021

[4] Ethiopia’s war marked by ‘extreme brutality’ from all sides: UN, Al Jazzera, 3 Novembre 2021

[5] Washington suspend les avantages commerciaux accordés à l’Éthiopie, à la Guinée et au Mali, RFI, 2 Novembre 2021

[6] Dawit ENDESHAW, Ethiopia expels seven U.N. officials, accusing them of ‘meddling’, Reuters, 6 Octobre 2021

[7] Zecharias ZELALEM, ‘Finish us off’: Ethiopia’s Qemant say targeted in armed campaign, Al Jazeera, 6 Octobre 2021

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