Les Yeux du Monde

Actualité internationale et géopolitique

AfriqueAfrique de l'EstGéopolitique & Relations Internationales

Elections en Ethiopie: une dramatique situation humanitaire au Tigré en toile de fond.

Shares

Au pouvoir depuis 2018, le Premier ministre Abiy Ahmed s’est maintenu en fonction lors des élections législatives du 21 juin dernier, à la faveur d’une écrasante majorité récoltée par son « Parti de la prospérité ». Ces élections devaient être un rendez-vous démocratique privilégié. Cependant, elles se sont tenues dans un contexte d’affrontements au Tigré, dans le nord du pays.

Carte Ethiopie élections situation Tigré
La région du Tigré, au nord de l’Ethiopie (en vert).

Des élections ouvertes et démocratiques ?

Plusieurs fois reportées, pour des raisons logistiques et à cause de la pandémie, ces élections se tinrent en juin 2021. Celles-ci visaient à élire les membres de la Chambre des représentants du peuple, une des deux branches du pouvoir législatif. C’est au sein de cette Chambre que le parti ou la coalition majoritaire désigne le Premier ministre [1]. Le Chef de l’Etat n’exerçant que des fonctions honorifiques, le pouvoir exécutif appartient au Premier ministre [2].
Le Parti de la Prospérité a ainsi remporté pas moins de 421 sièges sur les 436 sièges soumis au vote. Ce succès électoral confère ainsi une majorité absolue et une légitimité démocratique à Abiy Ahmed. En effet, lors de son accession au pouvoir en 2018, il n’a pas été élu mais plutôt désigné au sein de la coalition majoritaire de l’époque, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE). Ces élections législatives se voulaient comme une opportunité de promouvoir la démocratie, la participation de tous les citoyens, tout en s’affranchissant de la corruption.
Toutefois, cette victoire électorale est à relativiser. Plus d’une centaine de circonscriptions n’ont pu participer aux opérations électorales, en raison de soucis logistiques ou de conflits, comme au Tigré.

Une marginalisation progressive des Tigréens

Le vent de liberté et de réformes insufflé par Abiy Ahmed a conduit à la restructuration du pouvoir. Celui-ci était détenu par les Tigréens, ethnie minoritaire du nord du pays composée de six millions de citoyens. Les Tigréens occupaient les postes les plus importants au sein de l’armée fédérale éthiopienne et des services de renseignement. Cependant, depuis 2018, les Tigréens sont marginalisés, au profit des ethnies amhara et oromo (ethnies majoritaires du pays).
L’organisation d’élections au Tigré par les membres du Front de Libération du peuple du Tigré (FLPT), parti politique majoritaire dans cette région, en septembre 2020, a constitué, pour le pouvoir central d’Addis-Abeba, un casus belli. Ces élections n’étaient pas autorisées et leurs résultats n’ont d’ailleurs pas été reconnus.
Par la suite, le gouvernement a entrepris une intervention armée au Tigré dès le début du mois de novembre 2020, après l’attaque par le FLPT de la plus importante base militaire à Mekele, capitale du Tigré. Cette région est ainsi devenue le théâtre d’un conflit entre le FLPT et les forces de défense nationale éthiopiennes.

Une situation humanitaire préoccupante

Les répercussions de ce conflit se font particulièrement ressentir pour la population civile. Des milliers d’habitants sont déplacés et sont réfugiés dans des camps au Soudan voisin. Selon un rapport de l’ONU du 11 juin 2021, 350 000 personnes seraient dans une situation de famine et des dizaines de milliers d’enfants souffriraient d’une sévère malnutrition. Environ deux millions de personnes seraient au bord d’un risque de famine.
Un autre problème majeur porte sur le difficile acheminement de l’aide alimentaire dans les camps de réfugiés. Les travailleurs humanitaires voient leur travail entravé par les contraintes existantes, à savoir les nombreux points de contrôle militaires. Le rapport de l’ONU précité révèle que huit humanitaires ont perdu la vie depuis le début du conflit. Il faut ajouter à cela les nombreux centres de santé pillés et détruits par les belligérants. Enfin,  la coupure des télécommunications au Tigré complique la circulation et l’obtention d’informations fiables sur le terrain.

C’est ainsi qu’il a longtemps été difficile de confirmer la présence de soldats érythréens au Tigré, présence vigoureusement niée par le gouvernement éthiopien mais confirmée par de nombreux témoignages et vidéos des habitants. Addis-Abeba a dû se résoudre à admettre cette présence de troupes étrangères sur son territoire. Et surtout, à exiger des soldats érythréens, venus soutenir les troupes éthiopiennes, de se retirer. La présence de troupes érythréennes sur le territoire éthiopien s’explique notamment par la rancœur que porte l’Erythrée au FLPT, qui l’avait vaincu lors de la guerre de 1998-2000, essentiellement autour de la frontière commune. De plus, le rapprochement opéré depuis 2018 entre l’Ethiopie et l’Erythrée fait de ces deux pays des alliés de choix dans ce conflit contre le Tigré.

Un cessez-le-feu comme prémices d’une résolution du conflit ?

Le 28 juin dernier, les forces de défense du Tigré, affiliées au FLPT, ont récupéré Mekele. Cet évènement a conduit à un cessez-le-feu unilatéral décrété par le gouvernement. Le FLPT se dit également prêt à un cessez-le feu, mais sous conditions. Le retrait des forces éthiopiennes, érythréennes et des milices amhara sur le territoire du Tigré est une condition sine qua non. Addis-Abeba demande de son côté, la libération de soldats éthiopiens, prisonniers de guerre au Tigré.
L’interruption du conflit permet avant tout de laisser transiter l’aide alimentaire afin d’éviter que la faim cause des millions de morts. Mais la destruction de nombreuses infrastructures (ponts, routes) risque de retarder l’acheminement de l’aide alimentaire.

Dans ces conditions, le rétablissement d’un dialogue semble plus que nécessaire entre le pouvoir central et les dirigeants Tigréens. Une réintégration des Tigréens dans la politique éthiopienne est incontournable. Il en va de l’unité du pays et du décollage économique promis par Abiy Ahmed. Il est à noter que ce conflit constitue une « affaire intérieure ». Ainsi, Addis-Abeba refuse toute forme d’ingérence ou de médiation, même celles émanant de l’Union africaine ou du Soudan voisin.

[1] Article 73 Constitution fédérale éthiopienne

[2] Article 72 Constitution fédérale éthiopienne

Shares

Cédric GOUDEAGBE

est diplômé d'un Master 2 en droit public, mention défense et sécurité. Intéressé par les relations internationales, les questions de défense et l'Afrique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Centre de préférences de confidentialité

    Necessary

    Advertising

    Analytics

    Other