Le port de Mariel : à la croisée des intérêts cubains et brésiliens
Le port de Mariel, inauguré début 2014 par Raul Castro et Dilma Roussef, résulte de la convergence des intérêts des deux pays, qui entretiennent depuis une dizaine d’années des relations sérieuses du fait de la bonne entente entre Lula et les frères Castro. Un partenariat dont les enjeux dépassent de loin leurs seules relations bilatérales.
D’un point de vue commercial, le port de Mariel se destine à rivaliser avec les plus grands ports des Caraïbes (Kingstone et Freeport). Situé à l’Ouest de la Havane, il aspire notamment à profiter de la proximité du canal de Panama et du considérable flux de navires qui y passent. Ainsi, le port respectera la nouvelle norme Panamax qui entrera en vigueur dès 2015 à la fin des travaux de modernisation du canal. Sur le milliard de dollars qu’auront coûté les travaux, le Brésil, via sa banque publique d’investissements (BNDES), a participé à hauteur de 682 millions de dollars, soit près de 65% du coût total. En échange, l’essentiel des travaux a été mené par des entreprises brésiliennes (Odebrecht notamment, un des leaders mondiaux du BTP) qui auraient encaissé plus de 800 millions de dollars, et se sont plus de 150 000 emplois qui auraient été créés au Brésil grâce à ces investissements.
Cependant, pour les deux pays, le projet s’inscrit dans des politiques de long terme qui dépassent le simple investissement commercial.
Pour les cubains, ce projet s’inscrit dans la stratégie d’ouverture aux capitaux étrangers voulue par le pouvoir cubain. Avec les récents évènements vénézuéliens, les dirigeants ont pris conscience de leur dépendance au voisin et partenaire idéologique : 20% du PIB de l’île dépend des échanges avec le Vénézuela, notamment dans les domaines de l’énergie et des biens alimentaires. S’esquisse donc progressivement une politique de diversification des relations commerciales, qui s’appuie sur une normalisation des relations avec les pays voisins ainsi que sur des mesures incitatrices vis-à-vis des capitaux étrangers (zone franche autour du port, législation assouplie, réductions d’impôts, réunification de la monnaie…).
Les motivations du gouvernement brésilien s’inscrivent dans un mouvement similaire de projection stratégique. En fait, Mariel vise surtout à conforter le rôle du pays en tant que première puissance régionale, Amérique centrale comprise.
Puissance économique d’abord. Ainsi, le Brésil tient à profiter de l’ouverture économique qu’esquisse Cuba, potentiel marché de 11 millions d’habitants, et aspire à se positionner face à aux concurrents que sont donc les Vénézuéliens, mais aussi les Chinois déjà bien implantés. De ce point de vue, la Zone Economique Exclusive (ZEE) entourant le port – sur le modèle de Shanghai – attise déjà toutes les convoitises. Un investissement à long terme donc, dont le ressort essentiel repose sur le pari que l’embargo américain ne durera pas éternellement, et qu’une fois tombé, Mariel et son port, Cuba et sa main-d’oeuvre peu chère, seront autant d’atouts en vue d’en faire un relais stratégique d’accès au marché américain.
Un embargo qui souligne également la dimension politique de cet investissement brésilien. Mariel peut en effet être considéré comme un message incitatif clair à l’administration américaine, dont on sait que le président est plus enclin que ses prédécesseurs à s’ouvrir à Cuba. De fait, via l’extension progressive de son aire d’influence sur l’Amérique centrale, le Brésil se positionne progressivement face à la première puissance mondiale, sur un terrain qui lui est familier et où il est en confiance, car pas encore véritablement d’échelle mondiale. Dans une lecture plus globale de cet investissement, c’est en fait ici la stratégie économique et politique des émergents qui transparaît, et qui se caractérise par une habile complémentarité entre scènes régionale et mondiale, une position ferme sur la première permettant subtilement de se faire une place sur la seconde.