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Après l’échec du référendum en Colombie, quelle suite au conflit avec les FARC ?

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La courte victoire du NON lors du « référendum pour la paix » concernant la ratification de l’accord de paix signé entre l’État Colombien et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) a surpris les médias internationaux. Explications sur les raisons de ce refus populaire de l’accord de La Havane et sur les suites au conflit armé.

Carte des résultats du référendum colombien du 2 octobre : en rouge les régions où le NON a été majoritaire, en vert le OUI. (Source : Registraduría Nacional del Estado Civil de Colombia)
Carte des résultats du référendum colombien du 2 octobre : en rouge les régions où le NON a été majoritaire, en vert le OUI. (Source : Registraduría Nacional del Estado Civil de Colombia)

Alors que le 2 octobre 2016 aurait pu constituer une date historique en Colombie avec la ratification par référendum de l’accord de paix entre l’État et les FARC pour mettre un terme à un conflit de près d’un demi-siècle, la victoire du NON plonge le pays dans l’incertitude. Pourtant, depuis la signature de l’accord, les sondages donnaient une avance confortable au camp de ses défenseurs. Ceci explique la surprise des observateurs internationaux à l’issue du vote, pour qui mettre un terme immédiat à une guerre ayant causé plus de 200.000 morts et le déplacement de six millions de personnes semblait aller de soi. Plusieurs éléments sont à dégager du scrutin. Tout d’abord, l’étroitesse de la victoire du camp du NON, avec 50,23% des voix, soit une différence d’à peine 60.000 voix. Autre élément, l’importance de l’abstention – 63,53% – qui peut surprendre au regard de l’importance du scrutin. Enfin, la cartographie électorale montre une répartition claire du vote, les provinces du centre du pays (hormis celle de la capitale Bogotá) votant majoritairement contre l’accord, tandis que les provinces côtières et frontalières ont voté davantage en faveur du OUI.

De quelle manière faut-il interpréter ces résultats ? Concernant l’issue du vote, la météo a pu jouer un rôle pour certains (étant donné l’étroitesse du résultat), les côtes – davantage favorables au OUI – du pays ayant été touchées par de fortes précipitations. Toutefois, si des conditions climatiques propices auraient pu permettre la victoire des défenseurs de l’accord de la Havane, celle-ci aurait été également très courte. Il faut donc chercher des explications ailleurs. Tout d’abord, l’immense abstention est due en partie par la désertion des électeurs des grandes villes du pays, qui se sont sentis moins concernés par le référendum, au contraire des habitants des régions rurales du centre du pays qui ont été davantage touchés par la guérilla des FARC. De plus, il est à souligner que la participation électorale est traditionnellement faible en Colombie, puisque lors des élections présidentielles de 2014, seulement 40,65% du corps électoral s’était déplacé aux urnes lors du premier tour (47,89% pour le second).

Les raisons du vote en faveur du NON sont diverses. L’ancien président Álvaro Uribe a mené une intense campagne contre l’accord estimant que sont successeur, Juan Manuel Santos, avait trop cédé aux FARC dans le traité de paix et qu’un nouveau cycle de négociations devait être engagé en raison de la faiblesse des effectifs de la guérillas (7000 combattants environ à ce jour). L’optique des prochaines échéances électorales a sans doute joué un rôle majeur dans le positionnement de certains politiques contre le texte. Il est important de comprendre également que pour des centaines de milliers de familles colombiennes, qui ont connu l’exil et/ou le décès d’un proche, la relative faiblesse des peines encourues pour les criminels de guerre dans le traité et l’entrée des FARC au parlement est difficile à envisager. En effet, si l’accord prévoyait des aides au victimes, celles-ci ne sont pas clairement définies, et les peines de prisons encourues pour les chefs iraient de quatre à huit ans. L’irruption des guerrilleros dans la vie politique colombienne a fait craindre chez certains un risque de virage chaviste pour le pays : le discours quelque peu triomphaliste du chef de file des FARC, Timochenko, a aussi pu offenser certains électeurs.

Si la victoire du OUI au référendum n’aurait pas immédiatement amené la paix, celle du NON ne l’enterre pas pour autant

Comme nous l’avions expliqué il y a un mois, de nombreux obstacles demeuraient à franchir en vue de la paix définitive en Colombie. Même si le vote avait donné une victoire aux partisans de l’accord de La Havane, le flou persistant concernant les réparations aux victimes et les procès aux anciens combattants auraient continué à être sources de tensions. De plus, cet accord ne concernait que les FARC, et l’autre guérilla du pays, l’Armée de Libération Nationale (ELN) n’est pour le moment pas disposé à interrompre la lutte armée. Après avoir clamé ne pas avoir de « plan B » pendant la campagne référendaire, Juan Manuel Santos a annoncé après la proclamation des résultats que le cessez-le-feu signé le 29 août avec les FARC demeurait en vigueur et que des négociations avec les partisans du NON allaient s’ouvrir. Étant donné l’état de déliquescence actuelle des guérillas colombiennes, il y a fort à parier qu’un nouvel accord voit le jour dans les années à venir. En définitive, si la victoire du OUI lors du référendum aurait accéléré considérablement le chemin vers une paix définitive, celle du NON ne remet pas (encore) en cause ce processus.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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