Argentine : Javier Milei continue de récrire l’histoire du pays
Propos révisionnistes, vidéo remettant en cause le nombre de victimes sous la dictature et dissolution d’un groupe enquêtant sur les crimes commis par l’armée. Dans l’Argentine de Javier Milei, l’histoire se réécrit et la justice s’éloigne.
Coup d’arrêt pour les enquêtes sur les crimes commis lors de la dictature en Argentine
Le 27 mars dernier, le ministre de la Défense, Luis Petri, annonçait le licenciement de 10 membres sur 13 de l’Equipe d’Enquête et d’Analyse. Créé en 2010, sous Cristina Kirchner, ce groupe enquêtait sur les crimes commis lors de la dictature de 1976 à 1983. En Argentine, de premiers procès ont eu lieu dès 1985. Cela a abouti à la condamnation à la perpétuité des chefs de la junte comme Jorge Videla. Toutefois, en 1986 et 1987 la loi du Point Final et la loi d’Obéissance due, stoppent le processus judiciaire et offrent l’amnistie aux militaires. Au-delà d’une impunité totale, ces décisions entravent le processus de mémoire.
Il faut attendre l’arrivée de Nestor Kirchner en 2003, pour que celui-ci lève l’amnistie qui protégeait les militaires. De plus, en 2005, la Cour Constitutionnelle du pays déclare les lois de 1986 et 1987 anticonstitutionnelles. C’est dans ce contexte que des procès reprennent, condamnant des militaires coupables de crimes lors des 7 années de dictature. Les membres de l’Equipe d’enquête et d’Analyse participaient pleinement à ce processus en déchiffrant des documents d’archives. En 2013, un rapport rendait public une liste noire d’intellectuels et d’artistes argentins. Ces personnes étaient considérées par les membres de la junte comme dangereuses pour des raisons idéologiques.
Le gouvernement justifie ces licenciements dans une logique de réduction des dépenses publiques. Cependant, il est difficile de ne pas y voir un nouveau coup porté au processus judiciaire condamnant les membres de la dictature.
Une vidéo officielle révisionniste pour le 24 mars
D’autre part, cette décision arrive trois jours seulement après le 24 mars, date d’anniversaire du coup d’Etat de 1976. Aujourd’hui, cette date est la journée Nationale de la mémoire et pour la vérité. Cette journée est pour de nombreux Argentins l’occasion de rendre hommages aux victimes et continuer à demander que justice soit faite. Or, le gouvernement de Javier Milei en a profité pour publier une vidéo révisionniste.
L’un des intervenants dans cette vidéo est l’écrivain et homme politique argentin Juan Bautista Yofre. Ce dernier, s’est surtout fait connaitre pour ses nombreux livres sur les événements survenus en Argentine dans les années 1970. Dans ces livres, il n’est jamais question de dictature ou de terrorisme d’Etat. De plus, il rejette la responsabilité des crimes sur les organisations de guérilla qui ont mené des actions contre l’armée.
Ainsi, dans la vidéo il accuse les organisations de défense des droits humains du pays d’avoir agi en échange d’argent. De même, il discrédite les actions des gouvernements de Nestor et Cristina Kirchner. Selon lui, ces derniers ont protégé les membres des organisations de guérillas, qu’il compare à des terroristes, par complaisance idéologique. Aussi, le gouvernement va jusqu’à renommer le 24 mars en « Journée de la mémoire pour la vérité et la justice complète ». Ce changement de nom participe également à une logique de réécriture de l’histoire argentine. L’idée de développer une mémoire ou une justice « complète » étant le plus souvent défendu par les proches de la junte, afin de minimiser les crimes commis par les militaires durant la dictature.
Une volonté de réécrire l’histoire portée par le gouvernement argentin
Une ligne révisionniste également impulsée par la vice-présidente Victoria Villaruel. Cette dernière provient d’une famille de militaire et a fondé en 2006 le Centre d’études juridiques sur le terrorisme et ses victimes. Selon elle, les événements de 1976 à 1983 se résument à un conflit entre l’armée et des groupes terroristes de gauche. De même, elle rejette catégoriquement l’estimation faite des 30 000 victimes.
Une remise en cause des faits pour une réécriture de l’histoire au sommet de l’Etat qui s’accompagne également d’une volonté de « nettoyage culturel ». Au début du mois d’avril le porte-parole du gouvernement, Manuel Adorni, annonçait une nouvelle réforme afin d’éviter « l’endoctrinement » dans les écoles. Cette mesure vise a censurer certaines idées jugées à gauche de l’échiquier politique. Ainsi, en plus d’une situation économique catastrophique, le long et dur chemin pour la mémoire semble être paralysé en Argentine.