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Jeux olympiques, diplomatie et Corées : entretien avec Carole Gomez

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Carole Gomez est chercheuse à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques. Ses travaux portent principalement sur la diplomatie sportive, les questions de la réforme de la gouvernance sportive et d’intégrité dans le sport. Pour inaugurer cette semaine thématique « Olympisme et Diplomatie », elle nous livre son analyse sur la place du sport dans les relations internationales et les enjeux particuliers de ces Jeux olympiques d’hiver pour les rapports inter-coréens.

Carole Gomez, chercheuse à l'IRIS.
Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS.

Qu’y a-t-il de si particulier dans le sport pour qu’il puisse jouer un tel rôle diplomatique, comme on l’a vu par exemple avec le dialogue inter-coréen récemment ?

Carole Gomez : Il faut se souvenir des Jeux olympiques antiques, et de la notion de trêve olympique qui les accompagnait. C’était un temps sacré, hors des conflits, réservé au sport. Et cette notion de sacré, de mise de côté des tensions politiques a d’ailleurs été reprise par la suite par le baron Pierre de Coubertin (1863-1937, il a relancé l’olympisme dans sa version moderne ndlr). Il a compris que pour pouvoir être dans un objectif de long terme et pérenniser cet événement il fallait que ce soit apolitique.

En parallèle dans le vocabulaire-même du sport il y a le principe de la rencontre, du dialogue et donc à travers cela la reconnaissance de l’existence de l’autre. D’où parfois certains problèmes d’ailleurs, mais il y a là une vraie symbolique, un message fort qui peut circuler au-delà du simple aspect physique du sport. Il peut donc servir de levier d’avancée diplomatique, qui existe par ailleurs dans d’autres domaines comme la musique par exemple, mais le côté très populaire du sport fait que son impact est vraiment important.

Les JO ont-ils une place à part – ou même supérieure – dans ce rôle ? Pourquoi ?

C.G. : La place importante que peuvent avoir les Jeux olympiques et paralympiques tient au fait qu’ils regroupent énormément de pays, plus qu’aux Nations Unies par exemple. Même le football, qui est un sport particulièrement important et populaire, ne regroupe « que » 32 pays en Coupe du monde.

Certains pays non reconnus par la communauté internationale peuvent ainsi avoir une existence, une reconnaissance et ouvrir une voie de dialogue qui leur est impossible ailleurs.

Les institutions sportives, par exemple le CIO (Comité International Olympique), exercent-elles une quelconque influence dans ces diplomaties ou le sport n’est-il qu’un simple vecteur ?

C.G. : Oui il y a un rôle. En 1971 par exemple lors de la « diplomatie du ping-pong » entre les États-Unis et la Chine le CIO avait salué et soutenu l’initiative, alors que la Chine s’était retirée du CIO plusieurs années auparavant en raison de la présence de Taïwan comme entité à part entière au comité. Il y a une volonté de ne pas pencher d’un côté ou de l’autre. On peut aussi prendre l’exemple des Jeux olympiques d’été de Munich en 1972, où des athlètes israéliens ont été tués par des membres de l’organisation terroriste palestinienne Septembre noir. Avery Brundage, le président du CIO avait alors déclaré « The games must go on » et refusé de stopper les épreuves.

Il y a donc surtout cette volonté d’être apolitique encore une fois. C’est inscrit dans la charte du CIO et c’est un principe fondamental. Mais il y a aussi cette conscience que tout est politique malgré tout et que cette politique vient nécessairement s’ingérer. Le CIO a ainsi un rôle à jouer, de par le fait que le sport soit apolitique et donc facilitateur, dans cette ingérence politique inévitable.

 

« Certains pays non reconnus par la communauté internationale peuvent ainsi avoir une existence, une reconnaissance et ouvrir une voie de dialogue qui leur est impossible ailleurs. »

 

Il y a des exemples dans l’histoire d’avancées diplomatiques obtenues via les JO, avez-vous au contraire des exemples où le sport a eu un effet néfaste sur une stratégie diplomatique ?

C.G. : On cite souvent l’exemple de la « guerre du football », où un match entre le Salvador et le Honduras avait dégénéré en affrontements durant plusieurs jours en juillet 1969. Mais les tensions étaient évidemment bien plus anciennes, et bien plus complexes, le match a été un élément déclencheur et non la cause. D’une manière générale, on peut dire que le sport apporte un statu quo ou des avancées positives.

Concernant particulièrement ces JO d’hiver 2018, quelles opportunités diplomatiques peuvent-ils offrir aux deux Corées ?

C.G. : Avec ces JO de Pyeongchang on redécouvre un peu cet aspect diplomatique du sport à travers les rapports inter-coréens, sans parler bien sûr de résoudre les tensions. Mais c’est l’occasion de laisser de côté les sujets difficiles autour des enjeux de sécurité et de parler de sujets moins conflictuels, comme par exemple comment obtenir de bonnes performances des athlètes, etc. La Corée du Sud est demandeuse de ce genre de collusion, c’est loin d’être la première fois que le pays utilise le sport pour renouer un dialogue.

Le président sud-coréen Moon Jae-in souhaite une politique du dialogue.

Il est ensuite compliqué de dire si cela peut aboutir à quelque chose sur le long terme. Les tensions sont anciennes et complexes sur bien des points et beaucoup de thèmes notamment sur la sécurité n’ont pas été abordés lors des discussions récentes. On va dire que pour l’instant cela a au moins eu le mérite de rouvrir un canal de communication direct entre les deux pays, de reprendre un contact plus apaisé. La suite va dépendre de comment les jeux vont se dérouler. Le régime de Kim Jong-un va-t-il vouloir tirer la couverture à lui par exemple ? Comment va réagir l’opinion publique ? On est dans l’expectative, si ces JO sont un fiasco cela peut avoir un effet négatif sur la poursuite des discussions. Pour l’instant en ce qui concerne la Corée du Sud, la population est plutôt ouverte au rétablissement de la communication. Moon Jae-in – l’actuel président de la Corée du Sud, élu en mai 2017, ndlr – a d’ailleurs été élu sur une politique de dialogue envers le voisin nord-coréen.

Les deux Corées vont défiler sous le drapeau d’une péninsule réunifiée. Quel message Kim Jong-un fait-il passer à travers cela, alors qu’il lutte justement pour la survie de son régime ?

C.G. : Kim Jong-un a fait ce qu’il voulait faire en 2017, et il est maintenant dans l’objectif de profiter du fait que le dirigeant Moon Jae-in est dans une posture d’ouverture à la discussion. C’est l’occasion, avec ces JO, de faire parler de la Corée d’une manière moins négative. Encore une fois, il est ensuite difficile de supposer des retombées réelles pour la suite.

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Jessy PÉRIÉ

Diplômée d'un Master 2 en Géopolitique et prospective à l'IRIS, Jessy Périé est analyste géopolitique et journaliste, spécialisée sur la zone Asie orientale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions de politique extérieure chinoise et japonaise.

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