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Alstom-Siemens : une fusion torpillée par la Commission européenne

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Annoncée en septembre 2017, la fusion entre Alstom et Siemens Mobility, qui devait créer un champion européen de l’industrie ferroviaire, a été rejetée le 6 février par la Commission européenne. Portée par les gouvernements français et allemand, cette fusion visait à renforcer l’industrie ferroviaire européenne face à la concurrence accrue de l’industriel chinois CRRC (China Railway Rolling Stock Corporation). On retrouve ainsi le débat habituel entre tenants d’un droit de la concurrence strict et partisans d’une vision qui se veut globale au sein de l’Union européenne.

Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, qui a bloqué la fusion

Dotée depuis 1989 du pouvoir de valider les fusions concernant des entreprises opérant en Europe, la Commission applique un droit de la concurrence qui vise à empêcher l’abus de position dominante. Il s’agit, en somme, de protéger le consommateur contre un trop grand pouvoir des entreprises à imposer les prix. Bruxelles est ainsi intervenu régulièrement pour bloquer des fusions ou les conditionner à des cessions d’actifs importantes. Ainsi, en 2001, elle avait fait avorter la fusion entre Schneider Electric et Legrand. Plus récemment, elle s’est également opposée au rachat de la compagnie nationale irlandaise Aer Lingus par Ryanair (2013). Lors de la fusion entre GDF et Suez, la commission avait imposé la cession de Distrigaz à l’italien ENI pour une valeur de 2,4Mds€.

Une protection du consommateur prioritaire

On voit aisément ce que Bruxelles reproche à la fusion Alstom-Siemens. Le groupe détiendrait une place prépondérante sur le marché européen. Dans certains pays, en particulier au Royaume-Uni, sa domination dans le secteur des lignes à grande vitesse pourrait atteindre 80%, une situation de quasi-monopole. Pour le matériel roulant et la signalisation plus généralement, le groupe fusionné détiendrait plus de 40% des parts de marché en Union européenne. Comme le souligne l’économiste Jean-Marc Daniel, l’UE cherche ici prioritairement à défendre le pouvoir d’achat de l’usager. Selon lui, d’une part, une entreprise d’une taille double ne serait pas nécessairement plus efficace économiquement. D’autre part, il rappelle que quand Américains et Européens ont cherché à protéger leur industrie sidérurgique face à l’offensive chinoise, ce sont les constructeurs automobiles qui ont trinqué. Un schéma similaire pourrait donc toucher les opérateurs ferroviaires ou les usagers européens. Autre critique : le marché européen des transports ferroviaires a de très hautes barrières à l’entrée; CRRC ne l’a pénétré qu’à la marge avec les transports urbains, tandis que LGV et signalisation restent hors de sa portée.

Paris et Berlin poussent pour une vision globale de la concurrence

Pour autant, nombreuses sont les critiques qui s’élèvent contre une vision de la concurrence considérée comme naïve et dépassée. En effet, avec la montée en puissance d’industriels chinois subventionnés par Pékin, les moyens pour résister sont limités du côté des entreprises européennes. La principale réponse serait donc de former des champions européens possédant une taille critique suffisante pour amortir les coûts fixes et concurrencer les prix de CRRC. Cette dernière a bénéficié des transferts de technologies apportés par les compagnies occidentales dans les années 2000, et peut offrir des prix 20 à 30% inférieurs avec une qualité comparable. Elle contrôle maintenant la quasi-totalité du marché australien et a remporté des appels d’offre clefs dans des métropoles comme Chicago ou Londres. Bien que son chiffre d’affaires réalisé à l’étranger ne représente que 9,6% du total et que l’industriel tchèque Skoda Transportation lui ait échappé en 2017, CRRC a clairement le vent en poupe. C’est pourquoi les constructeurs français et allemand avaient plaidé pour une vision globale de la concurrence plutôt qu’une acception seulement européenne. En effet, si on considère le marché du matériel roulant à l’échelle internationale, CRRC possédait en 2013 32% des parts de marché. C’est une vision qui se veut également géopolitique en défendant des industriels européens forts dans un contexte de guerre commerciale.

Paris et Berlin ont annoncé vouloir engager une refonte du droit de la concurrence en Europe. Cela pourrait déboucher sur des exceptions dans des cas d’intérêt général, lorsque la nouvelle commission sera formée à l’automne. Pourtant, les traditionnels conflits de clocher entre capitales risquent de continuer à compliquer les fusions intra-européennes.

Sources :

Le Figaro, 02/02/2019

Les Echos, 06/02/2019 et 07/02/2019

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