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Cour pénale internationale : Ouverture d’une enquête sur les crimes commis en Afghanistan

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Le 5 mars 2020, la chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) a voté à l’unanimité l’autorisation d’une enquête concernant certains crimes en lien avec le conflit en Afghanistan. Il y a un an, en avril 2019, la CPI avait refusé l’ouverture de cette enquête en première instance.

Un événement inédit

« La Chambre d’appel a décidé que Mme le Procureur est autorisée à enquêter, selon les paramètres identifiés dans sa requête, sur les crimes présumés commis sur le territoire de la République islamique d’Afghanistan depuis le 1er mai 2003 ainsi que sur d’autres crimes présumés qui ont un lien avec le conflit armé en Afghanistan et sont suffisamment liés à la situation en Afghanistan et ont été commis sur le territoire d’autres États partis au Statut depuis le 1er juillet 2002. » Ce sont les mots communiqués par la CPI.

Très explicite, cette déclaration marque un tournant dans l’activité de l’organisation. Cette décision permettra au procureur de la CPI, Fatou Bensouda, d’examiner les actions des forces armées américaines, des membres de la CIA, de l’insurrection talibane, des forces de sécurité du gouvernement afghan et d’autres groupes armés opérant en Afghanistan. Bensouda cherchait à obtenir une enquête officielle sur les crimes présumés depuis 2011.

La compétence de la Cour n’étant pas rétroactive, elle traite les crimes commis à compter dU 1 juillet 2002
Le siège officiel de la CPI est situé à La Haye, depuis le 4 mars 2016.

La CPI décriée

Aujourd’hui, la CPI n’a mené à terme que neuf dossiers depuis sa création. Deux seulement ont abouti à des condamnations, mais un seul plaidoyer à culpabilité. Des centaines de millions de dollars constituent le budget annuel de la CPI (160 millions pour 2020). Son budget et son orientation sont les deux critiques majeures reprochées  à la CPI. En 2016, certains pays africains avaient accusé la CPI d’être un instrument politique. Ces pays l’accusaient de mener une action discriminatoire envers le continent africain. En effet, à cette date, neuf des dix procédures ouvertes concernaient des pays africains.

Par la suite, certaines accusations de corruption avaient continué d’affaiblir la CPI. Luis Moreno Ocampo, ex-procureur de la CPI est aujourd’hui encore accablé de plusieurs révélations embarrassantes pour la CPI. Cette double crise instaura un certain malaise entre les pays membres et les responsables de la CPI. Aujourd’hui, l’accusation de tropisme africain portée à l’égard de la CPI est moins crédible. Cela, en raison de l’abandon des charges de crimes contre l’humanité à l’encontre d’Uhuru Kenyatta (Président du Kenya) et de l’intérêt récent pour le conflit afghan.

Le cas des Etats-Unis

Rappelons tout d’abord que la compétence de la CPI est déclenchée lorsqu’un génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre se produisent sur le territoire d’un État membre de la CPI ou lorsqu’un ressortissant d’un État parti commet un tel crime. Les États-Unis ont signé le Statut de Rome à la fin de l’administration de Bill Clinton en 2000. Seulement, le Sénat n’a jamais ratifié le traité en raison de la forte opposition de l’administration George W. Bush. Néanmoins, l’Afghanistan ayant ratifié le statut de Rome, n’importe quel acteur ayant commis un crime sur ce territoire peut être soumis à la justice internationale de la CPI.

Le Statut de Rome définit les crimes internationaux sur lesquels la Cour a un pouvoir juridictionnel dont les crimes de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité ainsi que les crimes d'agression.
En vert les pays ayant signés et ratifiés le statut de Rome, en orange, les pays qui ont seulement signé

Alors, l’annonce de l’enquête a provoqué l’effarement des autorités américaines. « C’est une action vraiment époustouflante de la part d’une institution politique qui se fait passer pour un organe juridique », a déclaré M. Pompeo lors d’une conférence de presse ayant suivi l’annonce. Le 15 mars, le secrétaire d’État a même annoncé que les visas des personnes enquêtant pour la CPI seraient systématiquement refusés.

Des « sites noirs » de la CIA visés

Concernant l’enquête, les juges de la CPI ont également approuvé que le champ de recherche comprenne les sites noirs de la CIA. Notamment, ceux exploités en Pologne, en Lituanie et en Roumanie, où des détenus ont été emmené. Selon Mme Bensouda, le tribunal disposerait de suffisamment d’informations pour prouver que les forces américaines avaient « commis des actes de torture, des traitements cruels, des atteintes à la dignité de la personne, des viols et des violences sexuelles » en Afghanistan en 2003 et 2004. C’est également le cas dans des installations clandestines de la CIA en Pologne, en Roumanie et en Lituanie.

Accord US-Talibans

Enfin, cet événement intervient suite à l’annonce par Washington du retrait des troupes américaines en Afghanistan. Le dialogue entamé déjà en 2011 avec les talibans démontre que le gouvernement américain n’a que peu de confiance au régime afghan. L’accord signé fin février à Doha, prévoit un retrait progressif des troupes américaines. Egalement, celui-ci prévoit l’échange de milliers de talibans et de membres des forces afghanes. Ainsi, la CPI peut être certaine que la coopération des deux camps lors de son enquête ne sera pas garantie.

Sources :

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Pierre Lacroix

Pierre Lacroix est diplômé d'une Licence de Géographie (Université de Nantes), d'un Master de Relations Internationales, Intelligence Stratégique et Risques Internationaux (Lyon III), puis d'un Master Coopération Internationale et ONG (Paris XIII). Il est rédacteur depuis Mars 2019.

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