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Les terres rares et la Chine : le mythe de “l’arme stratégique”

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En pleine guerre commerciale avec les États-Unis, la Chine a fait savoir qu’elle pourrait appliquer un embargo sur ses exportations de terres rares. Cette menace a suscité l’inquiétude des observateurs, conscients de l’importance de ces métaux pour la fabrication de biens technologiques. Ces métaux sont en effet devenus essentiels au développement des smartphones, des éoliennes ou encore des voitures électriques. Si Pékin décidait d’arrêter du jour au lendemain ses exportations, tout un pan de l’industrie des hautes technologies fermerait boutique. Avec plus de 80 % de la production mondiale, la Chine s’assure en théorie un levier stratégique formidable pour imposer ses vues géopolitiques à travers le monde. Pourtant, l’échec de l’embargo chinois contre le Japon en 2010 nous a montré la difficulté qu’a Pékin de transformer les terres rares en arme géopolitique, et ce pour de nombreuses raisons.

Malgré le contrôle de près de 80 % de la production, la Chine ne peut pas utiliser « l’arme » de l’embargo sur les terres rares sans heurter sa propre économie.
La Chine produit 80 % des terres rares mais ne posséderait que 40 % des réserves mondiales.

Les terres rares ne sont pas rares

Premièrement, la Chine doit faire face à un risque important de substitution des oxydes de terres rares. Loin d’être rares, ces métaux sont en effet plutôt abondants dans le monde, bien que chaque métal ait ses spécificités. Tout embargo ne ferait alors que provoquer une vague de délocalisations des activités extractives vers d’autres pays. En 2010, l’embargo sur le Japon avait ainsi poussé les firmes nippones à s’approvisionner en Australie (site de Mount Weld), au Vietnam (site de Lai Chau) et en Californie. L’entreprise américaine Molycorp y avait rouvert le site de Mountain Pass, faisant diminuer la part de marché des entreprises chinoises.

Un embargo au coût économique considérable

À cela s’ajoute le fait qu’étant intégrées dans les chaines de valeurs mondiales, les industries chinoises dépendent énormément des composants réexpédiés par des économies importatrices de terres rares comme le Japon. En d’autres termes, tout embargo de la part de Pékin risque de frapper de manière substantielle les entreprises chinoises. Il toucherait à la fois leurs partenaires étrangers immédiats au sein des chaînes de valeur et les consommateurs qui verraient leur pouvoir d’achat diminuer. C’est pourquoi, en 2010, les compagnies chinoises ont eu massivement recours à la contrebande afin de contourner l’embargo. On estime ainsi que près d’un tiers de la production chinoise de terres rares fut exportée de manière illégale.

De plus, un embargo chinois entraînerait immédiatement des représailles de la part de ses partenaires commerciaux. Cela serait extrêmement coûteux pour une économie encore largement tirée par les exportations. Faut-il rappeler que Pékin avait mis fin à sa politique d’embargo en 2014, immédiatement après le jugement défavorable de cette politique rendu par l’OMC qui autorisait alors les mesures de rétorsion à l’encontre de la Chine ? En cas d’embargo, le coût économique serait donc tel qu’il réduirait à néant les avantages géopolitiques.

Une politique contre-intuitive

Enfin, utiliser les terres rares comme « arme diplomatique » irait à l’encontre de la politique chinoise actuelle. Conscients du coût environnemental des activités minières et désireux de se focaliser sur des activités à plus haute valeur ajoutée, les chinois ont en effet durci leur législation intérieure afin de réduire les activités extractives et ont à l’inverse encouragé leurs entreprises à investir dans des gisements à l’étranger. Cette politique consiste ainsi à délocaliser les activités les plus polluantes en dehors du pays. Dans le même temps, Pékin conserve sur son territoire les segments les plus profitables et les moins substituables de l’industrie des terres rares comme le raffinage ou les activités liées à la transformation des métaux.

C’est pourquoi l’empire du Milieu est devenu récemment le premier importateur mondial de ces métaux. Il en sera même importateur net dans quelques années. Dès lors, tout embargo, qui ne ferait qu’augmenter les prix internationaux, aura des effets économiques désastreux aussi bien pour l’économie mondiale que pour la Chine.

Par conséquent, le pouvoir chinois ne peut utiliser « l’arme » des terres rares sans handicaper sa propre économie. Cela l’oblige à y réfléchir à deux fois avant de prendre une telle décision.

Sources

Eugene Gholz, « The rare earths industry can weather any Chinese trade battle », CNN, 23 juillet 2019.

John Seaman, « La Chine et les terres rares : son rôle critique dans la nouvelle économie », Notes de l’IFRI, janvier 2019.

Myrtille Delamarche, « La Chine, premier importateur de terres rares en 2018 », L’usine Nouvelle, 17 mars 2019.

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Quentin PARES

Quentin Pares est diplômé d’un Master 2 de Grenoble Ecole de Management (GEM) et est étudiant à l’IRIS. Il est spécialisé dans les questions énergétiques et d'économie internationale.

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