Quels enjeux pour la Russie en Ukraine ?
Samedi 31 janvier 2015 à Minsk, les négociations portant sur un cessez-le-feu et un retrait des armes lourdes de l’Ukraine orientale ont échoué. Les pourparlers entre les autorités de Kiev et les représentants des forces séparatistes prorusses du Donbass n’ont pas permis une entente sur les prémisses d’un processus de paix. Après les récents bombardements de la ville de Marioupol, le bilan humain du conflit ukrainien dépasse les 5 000 morts. Dans de précédents articles, nous avons mis au jour les ingérences étrangères dans la crise ukrainienne ainsi que les raisons historiques de l’implication de la Russie. Concentrons-nous désormais sur les enjeux militaires et énergétiques au cœur des rivalités de puissance en Ukraine.
L’Ukraine, un maillon indispensable au complexe militaro-industriel russe
Vladimir Poutine a engagé un vaste programme de modernisation, de privatisation/rationalisation et de refonte de l’industrie de défense russe. Ce plan vient pallier la décennie 1990 lors de laquelle l’administration Eltsine avait effectué des coupes drastiques dans le budget de la défense, empêchant tout renouvellement d’armement et accélérant l’obsolescence de l’outil militaire russe. Le pari de Poutine est d’utiliser les nouveaux conglomérats russes, champions de l’industrie de défense, comme un levier pour moderniser l’ensemble du secteur industriel du pays, grâce à l’effet d’entraînement. Or, la base industrielle et technologique de défense (BITD) de la Russie repose en grande partie sur les usines ukrainiennes dont la localisation est héritée de la période soviétique.
Tributaire de cette organisation spatiale, l’État russe demeure dépendant de l’entreprise ukrainienne Zorya-Mashproekt (située dans le sud de l’Ukraine) pour la fabrication des turbines à gaz qui équipent ses bâtiments de marine. Dans l’oblast de Dniepropetrovsk, non loin de Donetsk, le bureau d’études Youjnoyé conçoit les lanceurs spatiaux russes et participent à la maintenance des missiles stratégiques intercontinentaux de son grand voisin. Au sein de l’oblast de Zaporojie, majoritairement russophone, la firme Motor-Sich fournit l’armée russe en moteurs pour hélicoptères. Enfin, l’industriel Antonov de la région de Kiev, spécialiste en avions militaires de transport, a suspendu toutes ces livraisons à destination de Moscou, compte tenu de la guerre dans l’est du pays. Pour Moscou, mettre la main sur ces usines de production d’armement reviendrait à garantir ses approvisionnements en matériel militaire, pièce maîtresse de sa stratégie industrielle et garant de sa défense nationale. L’annexion de la Crimée a d’ailleurs permis la réintégration dans le giron russe de la base militaire de Sébastopol, tout comme des chantiers navals de Théodosie et de Kertch.
Les hydrocarbures ukrainiens convoités
Dans la presqu’île criméenne, les forces russes assurent le contrôle de la mer Noire, véritable hub énergétique au carrefour des gazoducs et oléoducs reliant la mer Caspienne, la Russie, le Moyen-Orient et l’Europe. En récupérant la Crimée, le Kremlin s’est octroyé le principal fournisseur d’électricité de la péninsule, Krimenergo, et surtout la compagnie Chernomorneftegaz qui exploite les champs gaziers et pétroliers offshore en mer d’Azov et en mer Noire. Chernomorneftegaz a d’ailleurs été la cible de sanctions américaines dès avril 2014. Dans l’est de l’Ukraine cette fois, ce sont les hydrocarbures de schiste qui sont convoités par les puissances étrangères. Dans le nord de l’oblast de Donetsk, à quelques kilomètres des zones de conflit, les puits et les espaces de forage de Yuzivska sont protégés par des hommes armés. Le groupe hollandais Shell a renoncé à exploiter le gaz de schiste en Ukraine pour des raisons sécuritaires. Mais l’entreprise Burisma Holdings qui se définit comme une « compagnie indépendante de pétrole et de gaz », elle, l’exploite bel et bien. L’entreprise revendique une croissance de production de 90 % et 25 % de part de marché en Ukraine. Or, l’équipe de direction de l’entreprise est composé notamment d’Hunter Biden, le fils de Joe Biden, l’actuel vice-président des États-Unis, de Devon Archer, un ancien membre de l’équipe de campagne de John Kerry, l’actuel secrétaire d’État américain et enfin d’Aleksander Kwasniewski, ancien président de la république de Pologne.
L’Ukraine semble de plus en plus être une victime collatérale du bras de fer entre Washington et Moscou. Une joute géopolitique qui implique des intérêts militaires et énergétiques hautement stratégiques…