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La République tchèque submergée par la vague populiste

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Le populiste Andrej Babis et son parti ANO ont terrassé les partis traditionnels lors des élections législatives

Le milliardaire Andrej Babis et son parti ANO 2011 ont remporté  les élections législatives qui se tenaient en République tchèque les vendredi 20 et samedi 21 octobre. Cette élection s’apparente à un électrochoc pour l’Europe pourtant habituée ces derniers mois aux succès populistes. En effet, sur les quatre partis arrivés en tête, 3 sont des partis populistes ou non-traditionnels (ANO, pirates et extrême-droite du parti Liberté et Démocratie directe), tandis que les partis traditionnels ont été balayés. Le parti social-démocrate (CSSD) au pouvoir n’obtient que 7,3% des voix. Cette élection pourrait marquer un renforcement du groupe de Višegrad (groupe informel réunissant 4 États d’Europe central : Hongrie, Pologne, Slovaquie, et donc République tchèque) et, de ce fait, rendre encore plus difficile la mise en place du projet européen d’Emmanuel Macron.

Un « populisme patrimonial » et eurosceptique

Le succès d’Andrej Babis tient autant à sa personnalité qu’à un mouvement de fond dont il a su profiter. En effet, Andrej Babis a su combiner ce qui a fait le succès de trois autres politiques : la rhétorique antisystème et l’approche managériale (Donald Trump), l’image du milliardaire incorruptible (Silvio Berlusconi), et celle de l’outsider malgré son passé politique (Sebastian Kurz). Mais sa campagne s’est surtout appuyée sur une vague de fond populiste qui tranche avec les bons résultats économiques (croissance prévue de 3,6% en 2017, chômage de 2,9%) qui auraient dû profiter aux sociaux-démocrates. Ce populisme se nourrit d’une peur civilisationnelle imaginaire tout autant que d’un rejet des partis politiques traditionnels accusés de dilapider la fortune des contribuables. Dans Les Nouveaux Populismes (2013), Dominique Reynié parle de « populisme patrimonial » : un populisme qui s’appuie sur la crainte de voir des politiques corrompus mal gérer le patrimoine matériel des électeurs, mais aussi la crainte de perdre un patrimoine immatériel culturel devant l’immigration et une hypothétique invasion par l’islam. Enfin, les électeurs ont également voulu marquer leur désaccord avec une UE à laquelle ils ne veulent pas déléguer davantage de souveraineté, et dont ils ne veulent pas adopter l’euro malgré les exhortations de Jean-Claude Juncker. Après des décennies passées sous le giron soviétique, les électeurs tchèques ne sont pas prêts à abandonner une part de souveraineté à une entité extérieure. Ainsi, les accusations de détournement de fonds européens et le rôle d’informateur de la police politique tchécoslovaque qu’il aurait occupé, n’ont pas entamé la vague incarnée par Andrej Babis.

La réforme de l’UE menacée

Pour la République tchèque cette élection devrait certainement marquer un virage à droite, puisque les partis traditionnels ont décliné une alliance avec ANO. L’alliance la plus probable semble celle avec les conservateurs eurosceptiques modérés du Parti dé, tandis qu’un pacte avec Tomio Okamura (leader de l’extrême-droite), proche de Moscou, serait interprété comme un rapprochement avec la Russie poutinienne. Il pourrait également pousser son pays dans le club des démocraties illibérales, lui qui voit dans le parlement un contre-pouvoir néfaste. Si Babis ne rejette pas en bloc l’UE, il devrait toutefois prendre des positions plus fermes au sein du groupe de Višegrad pour donner un coup d’arrêt au projet européen d’Emmanuel Macron. Il a également invité l’Autriche, la Slovénie et la Croatie à rejoindre le groupe de Višegrad, afin de renforcer leur poids au sein de l’UE sur les sujets migratoires. Non seulement opposé à un approfondissement de l’UE, Babis refuse aussi une Europe à plusieurs vitesses qui marginaliserait son pays au sein de l’union. Pour autant, et malgré une campagne eurosceptique, Babis reste favorable au marché unique qui favorise grandement le pays et son propre conglomérat agroalimentaire, Agrofert. Pragmatique, Babis ne sacrifiera pas sa fortune sur l’autel du populisme. Ainsi, il pourrait parvenir à canaliser le populisme et restaurer la confiance des électeurs, à moins qu’il ne soit, lui aussi, victime de la vague de mécontentement aux prochaines élections.

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