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Le Président du Monténégro et l’Eglise serbe

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Depuis décembre 2019, le Monténégro est secoué par des manifestations, notamment de prêtres orthodoxes. Le parlement monténégrin a approuvé un projet de loi visant à nationaliser les biens religieux dont la propriété, avant 1918, ne peut être établie par des documents officiels. Les conflits intra-religieux, et les tensions ethniques qui en découlent risquent de déboucher sur une nouvelle crise politique dans les Balkans.

Le Monténégro, l’Eglise serbe et les identités post-yougoslaves

Le Métropolite Amfilohije du Monténégro

Le Monténégro est peuplé de slaves méridionaux. Ceux-ci parlent un dialecte très proche du serbe, mais ont toujours eu un grand degré d’autonomie. Sous l’Empire ottoman, la Porte se contente de prendre un tribut aux populations turbulentes de la montagne noire. Elle ne s’y impose pas politiquement, contrairement à son action en Roumélie (Serbie, Bulgarie, Macédoine actuelles).

Lorsque les idées des Lumières pénètrent l’Empire ottoman, les identités se structurent auprès de deux pôles dans les Balkans slaves : la langue et l’Eglise. Bulgares et Serbes cherchent ainsi à avoir leurs Eglises. La liturgie doit se faire dans leurs langues vernaculaires, en opposition au monde grec. Alors que l’Eglise orthodoxe était auparavant divisée selon une logique géographique, c’est désormais une logique nationale qui s’impose. L’Eglise serbe prend petit à petit autorité sur tous les Orthodoxes des Balkans occidentaux (Albanie exceptée). C’est ainsi qu’en Bosnie par exemple, les Slaves catholiques deviennent Croates, les Musulmans deviennent Bosniaques et les Orthodoxes deviennent Serbes. Le Monténégro est un cas particulier : il a une structure étatique indépendante, mais est à majorité orthodoxe, rattaché à l’église serbe tout en gardant son autonomie politique.

Conflits intra-orthodoxes

La loi paraphée par le Président monténégrin Milo Djukanovic a mis l’Eglise serbe du Monténégro dans une situation délicate. Alors que les relations entre l’Etat et l’Eglise étaient plutôt bonnes, l’Etat monténégrin cherche soudainement à s’imposer en nationalisant – ou spoliant – des biens que l’Eglise serbe a toujours considéré comme siens. Le but est de favoriser une Eglise autocéphale monténégrine, indépendante de Belgrade. Des prêtres sont descendus dans la rue, ainsi qu’une partie de la population qui s’identifie comme serbe. Au parlement de Serbie, la loi a également fait réagir, un parti d’extrême droite semant le trouble pendant une session parlementaire. L’Eglise serbe en Serbie a également manifesté son soutien à l’Eglise serbe du Monténégro, et son hostilité à la loi. Côté monténégrin, plusieurs prêtres serbes se voient expulsés du pays.

La récente « loi religieuse » s’inscrit dans un contexte de tensions et recompositions au sein du monde orthodoxe. La reconnaissance de l’Eglise ukrainienne orthodoxe comme Eglise autocéphale par le Patriarcat de Constantinople, et non dépendante du Patriarcat de Moscou, a divisé le monde orthodoxe. Cette décision a probablement eu un impact sur la politique monténégrine. Désormais, le Monténégro peut revendiquer son Eglise autocéphale. Ainsi, l’identité monténégrine se différencierait clairement de l’identité serbe. Déjà en juillet 2019, l’Eglise russe s’inquiétait des activités « schismatiques » de la « prétendue “église orthodoxe monténégrine“ ».

Des conséquences sur l’avenir du Monténégro

Dans son étude sur l’Eglise orthodoxe géorgienne dans la Géorgie post-soviétique, Silvia Serrano s’intéresse au rôle de l’institution ecclésiastique dans la construction de l’Etat géorgien. Toutefois, elle donne des clés de lecture dans le monde orthodoxe post-communiste en général. Le livre est d’ailleurs analysé sur le blog du Courrier des Balkans. Ainsi, l’Eglise participe à la construction politique et sociale du pays, en fournissant un discours parfois en opposition avec ceux des responsables politiques. L’Eglise orthodoxe devient donc l’un des principaux contre pouvoir de l’Etat, notamment en contexte de libéralisation et de perte de repères dans les sociétés post-communistes. C’est entre autres ce que l’on observe aujourd’hui au Monténégro. En s’aliénant l’Eglise serbe du Monténégro, Djukanovic risque de précipiter le pays dans une crise politique, mais potentiellement identitaire également.

Les minorités religieuses du Monténégro sont également concernées. Avec 20% de Musulmans et 4% de Catholiques, l’identité monténégrine ne se résume pas à une Eglise nationale en opposition à une Eglise serbe. En revanche, la légitimation d’une Eglise nationale monténégrine renforcerait l’idée d’un Monténégro orthodoxe. Les communautés ne se rattachant pas à l’Eglise nationale risquent d’être perçues comme étrangères (serbes, bosniaques, croates). Cette loi a donc des implications importantes sur l’avenir et la cohésion du pays.

Bibliographie

Silvia Serrano, Orthodoxie et politique en Géorgie postsoviétique, Karthala, 2019

Mudry Thierry, Histoire de la Bosnie-Herzégovine – Faits et controverses, Ellipses, 1999

Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, Comprendre les Balkans : Histoire, sociétés et perspectives, Non Lieu, 2007

Monténégro : à qui profite la nouvelle « guerre de religion » ?, Le Courrier des Balkans, 5 Janvier 2020

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