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Le long déclin de la politique d’influence russe en Europe

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Vladimir Poutine
Vladimir Poutine, lors de son discours annuel au Parlement, en janvier

Depuis une décennie, on assiste au grand retour de la Russie sur la scène internationale. Son influence s’étend au Moyen-Orient, en Afrique et dans certains pays d’Asie. Ces récents succès masquent cependant le déclin marqué de l’influence du pays dans son « pré-carré » européen. La contestation actuelle en Biélorussie est, comme en Ukraine, avant tout le rejet d’un système jugé corrompu, injuste et figé dans le passé. Une chute du régime d’Alexandre Loukachenko serait difficile pour Moscou, qui perdrait son plus proche allié dans la région. La Biélorussie sera t-elle un symbole supplémentaire du déclin de l’influence russe ? 

 

Un espace sous contrôle

Depuis la chute de l’Union Soviétique, la Russie s’emploie à maintenir son influence dans son « pré-carré », en particulier en Europe. Accords douaniers, tarifs préférentiels pour les hydrocarbures et un soutien inconditionnel aux dirigeants pro-russes en sont les principaux outils. Cette situation a souvent bridé la croissance de l’économie, l’émergence d’un État de droit, et l’ouverture vers d’autres pays. Les “révolutions de couleurs” en Géorgie (2003), Ukraine (2004) et Kirghizistan (2005) sont en partie la conséquence de cette situation. Ces évènements partagent des idéaux communs : élections libres, ouverture et lutte contre la corruption des élites. Plus qu’un rejet de l’influence russe, ces mouvements incarnent le rejet de son modèle sociétal et politique.

Maintenir une influence à tout prix

Face à ces contestations, la Russie ne recule devant rien pour maintenir son influence. Les médias sous contrôle du Kremlin sont les premiers relais de la propagande d’Etat, en particulier dans les pays russophones. Cette propagande a été déployée en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine : la Russie est représentée comme un « rempart » face à l’Occident et aux « néo nazis ukrainiens ».

La Russie emploie également des stratégies plus conventionnelles. “L’arme énergétique” est une : il s’agit d’utiliser la dépendance d’un Etat aux hydrocarbures russes comme levier de pression. En 2006 et 2009, en plein hiver, Moscou n’a pas hésité à suspendre ses livraisons de gaz vers l’Ukraine suite à un litige financier. La Biélorussie est elle aussi liée à la Russie par sa très forte dépendance au pétrole russe importé. Enfin, en dernier recours, c’est le soutien aux séparatismes régionaux ou aux “minorités russes” qui est invoqué pour justifier une intervention militaire. La Moldavie en 1992 (Transnistrie), la Géorgie en 2008 (Abkhazie et Ossétie du Sud), et l’Ukraine en 2014 (Donbass) en sont les illustrations.

L’Union Européenne, un concurrent sérieux face à l’image dégradée de la Russie

Face à cette politique agressive, l’Union Européenne offre une tout autre alternative. Suite à la chute de l’URSS, celle-ci s’est étendue largement vers l’Europe de l’Est, souvent de pair avec l’OTAN. La politique de voisinage de l’UE inclut désormais le “pré-carré russe”, via un dispositif intitulé “Partenariat Oriental”. Créé en 2009, celui-ci propose un rapprochement entre l’UE et des anciennes républiques soviétiques via un accord d’association. Rejeté par la Biélorussie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, il est signé par la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine. Son premier rejet brutal par l’Ukraine de Viktor Ianoukovitch en 2014 marque le début du soulèvement de Maïdan, qui entraînera la chute du président pro-russe et le conflit actuel.

Aux yeux des populations et des dirigeants, l’Union et ses valeurs sont une option attractive. Elle propose un accès privilégié aux marchés européens, conditionné à une amélioration de l’État de droit, de l’environnement et des libertés. Les pays signataires bénéficient de subventions, d’exemptions de visa et de droits de douanes réduits, et peuvent espérer rejoindre un jour l’UE.

Cette politique bénéficie à l’Union. La perception globale de l’Union Européenne est largement positive, dans le monde et en Europe, et n’a cessé de se renforcer depuis 2013. C’est l’exact opposé de la Russie. La dernière étude du PewResearch Center montre que celle-ci est en grande majorité négative et s’aggrave depuis 2014. Certes, comparer une union dépourvue de réelle politique étrangère et un État n’est pas toujours pertinent. Ces résultats montrent toutefois clairement que le pays n’inspire pas confiance, en particulier parmi ses voisins européens. Seules la Slovaquie, la Bulgarie et la Serbie font figure d’exception. Cette proximité avec la Russie reste cependant davantage idéologique que réellement stratégique.

Entre Russie et Europe, une relation au point mort

La crise ukrainienne de 2014 et les sanctions ont entraîné un gel des relations entre l’Europe et la Russie. L’arrivée au pouvoir de plusieurs dirigeants populistes aurait pu préfigurer d’une politique plus clémente envers la Russie. Au-delà des symboles, le bilan est très mitigé.
Certains pays ont soigné leur relation avec Moscou, par proximité idéologique ou par opportunisme. C’est le cas de l’Autriche de Sebastian Kurz ou de l’Italie, dirigées par des gouvernements d’extrême droite. La seule action tangible de Vienne a été de ne pas expulser de diplomates russes après l’affaire Skripal. En Europe de l’Est, le dirigeant hongrois Viktor Orban, le slovaque Robert Fico et le tchèque Milos Zeman ont été reçus chaleureusement à Moscou. Cependant, leurs demandes de levée des sanctions européennes n’ont eu aucun effet.

Les décisions majeures – sanctions économiques, traités commerciaux – restent du ressort de l’Union Européenne. Et la position des deux « moteurs » du continent, la France et l’Allemagne, n’a pas vraiment évolué depuis 2014. Pire, elle s’est même dégradée. L’empoisonnement d’Alexeï Navalny a tendu les relations avec Berlin, pourtant adepte du dialogue avec Moscou. Angela Merkel a même menacé de suspendre le projet de gazoduc Nordstream 2, quasiment achevé, qui doit relier la Russie à l’Allemagne. Du côté français, le « dialogue stratégique » voulu par Emmanuel Macron est à l’arrêt et n’a pas produit de résultat concret.

La Russie a t-elle encore des alliés ?

La Russie conserve une influence significative en Europe et dans le monde. Elle entretient toujours des relations solides avec la Serbie, la Biélorussie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La Turquie est devenue un partenaire stratégique pour Moscou.

Pourtant, même ces succès sont à nuancer. La Turquie est davantage une « alliée de circonstance » : elle reste membre de l’OTAN, et a beaucoup d’intérêts divergents. La Biélorussie s’est toujours opposée à une union plus poussée avec la Russie. La Serbie a beau s’affirmer très proche de Moscou, son économie est très liée à celle de l’UE, qu’elle espère rejoindre. La « russophilie » affichée par certains pays européens se limite surtout à des discours : les actes sont du ressort de l’Union Européenne. La Russie, avec ses faiblesses économiques et sa société verrouillée, a aujourd’hui peu à offrir à ses plus proches alliés. Le soutien embarrassé de Moscou à Minsk en est une illustration.

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Adrien Crozier

Adrien Crozier est étudiant de Master 2 en école de commerce, après deux années de classe préparatoire ECS.

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