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GNL : une ambition à hauts risques pour la Russie ? (2/2)

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Depuis 2013, le développement du gaz naturel liquéfié (GNL) fait partie des priorités du gouvernement russe. Moscou affiche ainsi l’objectif ambitieux de produire près de 140 millions de tonnes (Mt) de GNL d’ici à 2035. Cela ferait du pays l’un des quatre premiers producteurs de gaz liquéfié au monde avec le Qatar, l’Australie et les États-Unis. Surtout, ce niveau de production ferait de la Russie le premier exportateur mondial de gaz si l’on ajoute les ventes par gazoducs. Pourtant, ce choix stratégique soulève de nombreuses questions quant à la capacité réelle du pays à atteindre ses objectifs. La Russie deviendra-t-elle un acteur global du GNL ?

Partie 2 : Une stratégie trop ambitieuse ?

Longtemps en retard dans le domaine du GNL, la Russie a donc réussi à stimuler sa production ces dernières années. Ambitieuses, les autorités russes comptent d’ailleurs poursuivre sur cette tendance afin de produire 140 Mt/an d’ici à 2035. La mise en service du projet Yamal par Novatek en 2017 doit ainsi servir de modèle à cette ambition. Pourtant, de nombreux obstacles remettent en cause les objectifs du gouvernement.

Une dépendance technologique qui pose problème

Depuis 2014, les sanctions occidentales ont limité le développement du GNL en Russie
Dépendant des technologies occidentales, le GNL russe est frappé de plein fouet par les sanctions occidentales.

Etant donné sa complexité, la production de GNL requiert l’utilisation importante de technologies de pointe. Du transport à l’usine de liquéfaction, pas un seul segment de la chaîne de valeur n’est pas technology-intensive. Malheureusement pour Moscou, la Russie ne maîtrise pas les technologies nécessaires au GNL.

Ce sont en effet les compagnies occidentales qui apportent les compétences technologiques. Novatek a ainsi dû compter sur l’aide du français Total pour mettre en service son projet Yamal. De même, Gazprom et Rosneft ne peuvent liquéfier leur gaz sur l’île Sakhaline sans l’appui technologique du néerlandais Shell et de l’américain Exxon Mobil. Or, depuis 2014, la Russie subit des sanctions américaines et européennes la privant en partie des technologies nécessaires à la liquéfaction du gaz. Beaucoup de projets sont ainsi à l’arrêt faute d’accès aux savoir-faire technologiques des compagnies occidentales.

Cette dépendance technologique est d’autant plus problématique que les projets GNL se situent dans des régions à risques. Que ce soit en Arctique ou en Extrême-Orient, les effets du gel renforcent ainsi le besoin en technologies résistantes aux conditions difficiles. Cette concentration géographique s’explique par des éléments historiques. En effet, les réserves les plus faciles à exploiter sont déjà arrivées à maturité et sont destinées prioritairement aux ventes par gazoducs.

Dans ces conditions, la production de GNL russe se retrouve fortement dépendante des technologies étrangères. Le développement de l’Arctic Cascade, une technologie russe de Novatek, pourrait cependant changer la donne. Bien qu’étant non testée à ce stade, cette technologie limiterait substantiellement la dépendance de la Russie.

Un accès incertain aux marchés asiatiques

Continent en pleine croissance, l’Asie devrait représenter 70 % des importations de GNL en 2040. Pour Moscou, il est donc indispensable de gagner des parts de marché sur ce segment de la demande mondiale. Pourtant, deux difficultés vont se poser dans les années à venir.

Premièrement, la demande asiatique de GNL pourrait s’avérer inférieure aux estimations. En effet, plusieurs paramètres peuvent diminuer l’importance du gaz liquéfié en Asie. En Chine, la demande de GNL importé va dépendre ainsi fortement du niveau de la production intérieure. Rappelons que les autorités chinoises encouragent l’exploitation des gaz de schiste dont la Chine détient les premières réserves au monde. De même, la Chine pourrait privilégier les importations par gazoducs ainsi que le maintien d’une production importante de charbon et ce afin de sécuriser ses approvisionnements énergétiques. Enfin, de nombreux pays d’Asie, comme le Japon ou la Corée du Sud, affichent des objectifs ambitieux de décarbonation de leur mix énergétique.

Deuxièmement, le GNL russe souffre d’un relatif manque de compétitivité vis-à-vis de ses concurrents. Les difficiles conditions météorologiques entraînent ainsi des coûts supérieurs de production. En matière de transport, à l’exception de l’Extrême-Orient, le GNL russe reste relativement éloigné des marchés asiatiques. Le Qatar ou l’Australie, plus proches de l’Asie, bénéficient ici d’un véritable avantage compétitif face au gaz russe. Pour Moscou, la solution passe par la « route du nord » en Arctique faisant diminuer par deux les coûts de transport. Néanmoins, cette route n’est ouverte que 6 mois pendant l’année et manque encore d’infrastructures pour être utilisée pleinement.

Une compétition potentiellement dommageable entre les compagnies russes

Depuis 2013, les compagnies russes sont autorisées à exporter leur GNL. Novatek et Rosneft sont ainsi devenues des acteurs majeurs du secteur gazier russe. Pour Moscou, il existe cependant un risque important de voir ces nouveaux acteurs prendre des parts de marché à la compagnie publique Gazprom. Il faut rappeler que cette dernière contribue massivement au budget fiscal du pays.

Les exportations de GNL sont, en effet, en concurrence directe avec les exportations par gazoducs. Pour Novatek, par exemple, la non disponibilité de la « route du nord » fait que l’Europe représente son premier marché d’exportation pendant l’hiver. Or, l’arrivée massive de gaz liquéfié est une menace pour la position dominante de Gazprom sur le marché européen. Inversement, la mise en service du gazoduc Force de Sibérie par Gazprom prend des parts de marché au GNL russe en Chine.

Par conséquent, le gouvernement russe sera confronté à des tensions croissantes au sein même de son secteur gazier. D’un côté, un GNL en plein essor mais contribuant peu aux recettes fiscales. De l’autre côté, Gazprom et ses ventes par gazoducs, véritable vache à lait de l’Etat russe. Moscou devra ainsi naviguer entre deux modèles contradictoires créant encore davantage d’incertitudes quant à l’avenir du GNL en Russie.

 Sources :

James Henderson  et Vitaly Yermakov, « Russian LNG: Becoming a Global Force », The Oxford Institute For Energy Studies, 22 novembre 2019.

Aurélie et Thierry Bros, Géopolitique du gaz russe. Vecteur de pouvoir et enjeu économique, Editions de l’inventaire, 2017.

Anna Mikulska, « Yamal LNG : Success has many fathers ; indeed », Center For Energy Studies, Baker Institute, 25 mars 2019.

Agence international de l’énergie, World Energy Outlook 2019, 13 novembre 2019.

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Quentin PARES

Quentin Pares est diplômé d’un Master 2 de Grenoble Ecole de Management (GEM) et est étudiant à l’IRIS. Il est spécialisé dans les questions énergétiques et d'économie internationale.

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