EnvironnementRussie et espaces post-soviétiques

La Russie en Arctique : pour quelle lutte d’influence ?

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Alors que l’intérêt pour l’Arctique a chuté avec la fin de la Guerre Froide, de nouveaux enjeux environnementaux, économiques et sécuritaires font que cette zone est aujourd’hui souvent qualifiée de « nouvel Eldorado ». La Russie semble être sur tous les fronts dans cette région. Selon Bobo Lo, chercheur australien et ancien consultant britannique lors du sommet Arctic Frontiers en 2017, « La Russie est le pays qui fait le plus montre d’engagement envers l’Arctique »[1].

Là où les impacts du changement climatique sont les plus manifestes – la fonte précoce des glaces au Groenland et la vague de chaleur en Sibérie en ce mois de mai 2020 en sont des illustrations -, cet océan se retrouve de plus en plus au cœur de questions géo-économiques, mais aussi de luttes d’influence entre pays riverains ou non.

La Russie en Arctique : intérêts réalistes ou présence stratégique ?
Dans la zone Arctique, les mers de Kara et de Barents, pleines de richesses, se trouvent au Nord du territoire russe riche en gisements.

Alors pourquoi tant d’enjeux pour Moscou au sein du cercle polaire ?

Déjà en 2007, l’installation d’un drapeau russe au fond de l’océan Arctique avait fait polémique. Depuis, la Russie a montré un intérêt croissant, tout d’abord pour ce qui est de la reconnaissance territoriale des fonds arctiques, mais aussi pour l’exploitation de ses ressources.

La mer de Barents: un précarré russe ?

Après un conflit finalement résolu en 2010 avec la Norvège sur la délimitation de leurs zones économiques exclusives (ZEE) en mer de Barents, la Russie continue d’y mettre en scène sa présence. En effet, elle réclame un préavis de 45 jours avant le passage de navires militaires étrangers dans cette partie du monde. Pourtant, ce préavis est non obligatoire aux yeux du droit international : la liberté de navigation reste valable dans les ZEE [2]. La traversée d’une flottille anglo-américaine sous commandement de l’OTAN, ce 4 mai 2020, aura permis de réaffirmer ce droit. Un message a été envoyé à la Russie seulement trois jours plus tôt, en opposition à ses réclamations. La Fédération russe n’a pourtant pas réagi.

De fait, la mer de Barents est un point stratégique. Elle pourrait devenir une des premières zones dites « post-polaire »[3], c’est à dire entièrement libérée de glace en été voire en hiver. Se trouvant sur le passage du Nord-Est, cela pourrait donc avoir un impact sur le commerce en dégageant une nouvelle voie maritime permettant un transit des marchandises accéléré. Toutefois les contraintes du marché du transport maritime ne font pas de ce passage un nouvel Eldorado [4]. Les chiffres montrent bien que la circulation via Panama ou Suez reste largement en tête [5].

La présence d’hydrocarbures en Arctique : une exploitation à risque ?

Pour autant, et malgré les contraintes particulières qui pèsent sur cette zone du monde, Moscou mise sur les richesses de l’Arctique. Ce secteur abriterait en effet 2/3 des réserves en gaz du pays [6]. Si l’industrie russe s’est développée dans ses territoires arctiques ces dernières années, le coût de production reste élevé. Les contraintes particulières de ces espaces en font des investissements plutôt risqués. Pour preuve : la fuite de 21 000 tonnes de carburant ce 29 mai, probablement favorisée par la fonte du pergélisol. Les coûts de production sont donc multipliés et l’exploitation des ressources est par conséquent moins rentable que dans d’autres zones. En témoigne le retrait de Shell de cette partie du monde en 2016. Pourtant le pays continue d’innover pour exploiter l’Arctique (technologie de leurs brise-glaces).

L’intérêt pour la Russie d’ancrer sa présence en tant qu’acteur stratégique dans le « grand Nord » repose sur des enjeux globaux, alors qu’augmente la militarisation de la zone. Dans un contexte où l’Arctique soulève de plus en plus l’intérêt international, avec un accroissement d’acteurs se portant sur le sujet – les pays asiatiques et européens notamment -, la Russie tente donc d’y réaffirmer sa présence. Face à un Donald Trump qui cumule les coups d’éclat tels que la proposition de rachat du Groenland, la lutte d’influence prospère.

La catastrophe écologique du 29 mai et la contradiction des autorités russes qui n’ont pas réagi au passage de l’OTAN mettent cependant en lumière quelques difficultés. Toutefois, le choix opéré par la Russie semble être de multiplier les actions pour réaffirmer sa posture sur les enjeux arctiques et tirer profit des richesses de la zone en poussant l’innovation. L’objectif pour Moscou reste de viabiliser une future Route Maritime du Nord (RMN) rentabilisant les ressources au Nord de son territoire. Il s’agit ici d’une vision de long terme.

Notes 

[1] « Arctique, la Russie et le Grand Nord », France Culture, 9 mars 2017

[2] Article 55 de la Convention de Montego Bay.

[3] Mered Mikaa, Les mondes polaires, Presses Universitaires de France, Paris, octobre 2019, 525p.

[4] Lasserre Frédéric, « Arctique : une région sous tension ? », in. Diplomatie, n°102, p. 46-52, janvier-février 2020.

[5] Ibidem, 27 navires sont passés par le passage du Nord-Est en 2018, contre 11 500 via Panama et 18 000 via Suez.

[6] Tertrais Bruno (dir.), Atlas militaire et stratégique, Autrement, Paris, mars 2019, 96p.

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Celine GOJON

Céline Gojon est diplômée de Master en Relations Internationales, spécialisation "sécurité, paix et conflits" de l'ULB. Passionnée de géopolitique, elle s'intéresse particulièrement au monde de la défense.

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