Proche et Moyen-Orient

Des accords Sykes-Picot au « Grand Moyen-Orient » ?

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Les différents conflits internes qui traversent actuellement des pays du Proche-Orient (Irak ; Syrie) mais aussi les pays en proie depuis longtemps aux troubles (comme le Liban) laissent imaginer que la carte du Moyen-Orient telle que nous la connaissons depuis 100 ans à peu d’avenir à long terme. La plupart de ces pays ayant hérité de frontières de l’époque coloniale sans grande légitimité historique font aujourd’hui face à leurs contradictions, menant à imaginer une nouvelle carte régionale.

Deux pays sont aujourd’hui en proie à une guerre intestine (il n’est pas nécessaire de préciser l’influence de parties extérieures dans la formation et la continuation de ces conflits) qui va laisser de profondes séquelles : la Syrie et l’Irak. La Syrie traverse une guerre civile depuis près de 3 ans, accentuant les tensions entre les communautés dans un pays interethniques. En Irak, la percée de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) et le refus de Nouri Al-Maliki de former un gouvernement de salut national ne font que confirmer la fracture durable entre chiites et sunnites.

Ces deux pays coïncident dans leurs frontières actuelles avec celles dessinées par l’accord Sykes-Picot en 1916, puis la conférence de San Remo en 1920. Tracées dans une logique de partage d’influence sur la région entre les français et les britanniques, ces frontières n’ont pas pris en compte les différences ethniques, tribales, religieuses. Aujourd’hui, l’échec de ces Etats à former une unité nationale accompagnée d’interventions occidentales mal-gérées sur le long terme (guerre en Irak de 2003) forment un terreau fertile pour l’implosion de ces pays.

Vers un « Grand Moyen-Orient » incontrôlable ?

Le projet de « Grand Moyen-Orient » américain, souvent daté de la présidence Georges W.Bush est en réalité une préoccupation des stratèges américains depuis les années 70. Déjà en 1978, le stratège américain Brzezinski parlait d’arc de crise en désignant le Moyen-Orient et l’année suivante l’universitaire Bernard Lewis suggérait une recomposition du Moyen-Orient favorable aux intérêts américains.

Après le 11 Septembre 2001, les néoconservateurs gagnent une influence considérable au sein de l’équipe présidentielle, notamment sur la politique étrangère. Les guerres en Afghanistan et en Irak sont le fruit de cette volonté d’ingérence américaine pour contrôler cette zone stratégique. En 2004, l’Initiative pour le Grand Moyen-Orient (Great Middle East Initiative) est présentée, visant au développement économique et social dans la région afin d’endiguer le terrorisme en installant la démocratie libérale. Derrière cette idée se cachait également la volonté de remodeler la région en un ensemble de petits pays homogènes. En maintenant plus ou moins des conflits entre eux et en empêchant l’émergence d’une puissance régionale ennemie (comme l’était l’Irak), les intérêts américains devraient être favorisés selon les stratèges de Washington.

Toutefois, le passage de la théorie à la réalité s’avérera plus compliqué. Ce projet déjà très critiqué dans les pays arabes ne faisait pas non plus pour autant l’unanimité dans l’administration américaine, partagée entre des courants idéalistes et d’autres plus réalistes. L’embourbement en Irak des troupes américaines et l’impossible stabilisation du pays a éloignée l’idée d’une contagion démocratique de la région à partir de Bagdad.

C’est avec les printemps arabes que cette idée d’un « Grand Moyen-Orient » refait surface. L’unité territoriale de certains pays ne tenant que grâce au joug dictatorial, ces soulèvements ont laissé la porte ouverte à la possibilité d’un début de recomposition du Moyen-Orient. La Libye est aujourd’hui plongée dans le chaos des milices, remettant en surface les lignes de fracture profondes du pays (particulièrement dans le cas de la Cyrénaïque). La Syrie est plongée dans un affrontement violent entre les différentes communautés, tandis que l’Irak subit les soubresauts de son voisin avec la montée en puissance de l’EIIL.

Devant la tournure des événements, plusieurs experts de la zone se penchent sur la recomposition du Moyen-Orient à venir. En Septembre 2013, Robin Wright publiait une carte dans le New-York Times où il imaginait l’avenir de 5 pays (Syrie, Irak, Arabie Saoudite, Yémen et Libye) passant à 14 entités distinctes. Aujourd’hui ce redécoupage de la région parait encore prématuré et critiquable, bien que déjà, la question de l’indépendance du Kurdistan irakien se pose de plus en plus sérieusement à court terme.

Si les néoconservateurs américains envisageaient effectivement cette refonte du Moyen-Orient, le paysage géopolitique actuel est loin d’annoncer qu’il sera favorable aux intérêts de Washington. Le sud de la Libye est désormais un espace incontrôlable où prospère Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), les troubles en Irak peuvent s’avérer dangereux pour la stabilité du marché pétrolier et du Golfe Persique. A cela s’ajoute les luttes d’influences des puissances régionales (Arabie Saoudite, Iran) déstabilisant encore plus la région sans que Washington ne puisse vraiment les stopper. L’administration Obama qui pensait pouvoir engager le pivot stratégique vers l’Asie-Pacifique doit faire face aujourd’hui aux conséquences des années Bush au Moyen-Orient.

Si on peut considérer que les accords Sykes-Picot sont en voie de disparition progressive, le fameux projet de « Grand Moyen-Orient » stable et démocratique est loin d’être réalisé.

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