Rétrospective 2014 : la guerre civile syrienne
Il y a un an, nous vous présentions le bilan de l’année 2013 en Syrie, avec Bachar el-Assad renforcé par la non-intervention des occidentaux, et une opposition modérée affaiblie par les djihadistes. Si certaines tendances de 2013 se sont confirmées en 2014, le jeu géopolitique syrien a connu certaines transformations spectaculaires cette année.
Tout d’abord, le bilan humain est très lourd : d’après l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, le conflit a franchi le cap des 200.000 morts, avec plus de 76.000 pour la seule année 2014. Une année meurtrière donc, qui a entrainé de vastes mouvements de réfugiés : vers le Liban principalement (qui abrite près de 1.160.000 syriens), la Turquie (avec plus de 130.000 arrivées depuis Septembre), l’Égypte et la Jordanie. Économiquement, Le pays est exsangue : une inflation à deux chiffres, la plupart des infrastructures sont détruites et l’IDH a régressé de 35 ans.
Aux termes de près de 4 ans de guerre civile, les quatre grandes forces qui s’imposent sont : le régime syrien ; l’Etat Islamique (EI) ; le Front Al-Nosra, branche d’Al Qaïda en Syrie ; et les kurdes. L’opposition syrienne dite modérée, incapable de s’unir, n’arrive pas à s’imposer politiquement et militairement dans le pays. La plupart du temps, elle est obligée de coopérer avec des groupes islamistes (excepté l’EI) pour mener des opérations.
Le pari diabolique de Bachar el-Assad prend forme…
En 2011, le régime syrien libère par centaines des extrémistes afin de fanatiser l’opposition et discréditer les mouvements modérés. L’idée était de rendre manichéen l’affrontement en Syrie : soit le clan Assad reste au pouvoir, soit ce sera le chaos terroriste. Cet objectif-là est atteint en 2014, notamment grâce à l’EI qui a connu une impressionnante montée en puissance cette année. Pour beaucoup, Bachar el-Assad est considéré désormais comme un rempart contre le terrorisme. En formant une coalition internationale contre l’EI, les occidentaux sont devenus des alliés indirects du régime syrien.
L’ambassadeur américain Ryan Crocker a parfaitement traduit l’état d’esprit de la plupart des chancelleries occidentales : « Assad is the least worst option in Syria ». Tant que le régime syrien tient, cela contient le conflit en Syrie. Si jamais il venait à s’effondrer, la violence et les mouvements djihadistes pourraient se propager au Liban et en Jordanie. Les opposants modérés syriens, déjà peu nombreux et combattus violemment par le régime, ne paraissent plus réellement comme une alternative crédible aux occidentaux qui les soutiennent par intermittence.
… tout en commençant à se retourner contre lui.
Toutefois, dire que Bachar el-Assad est le grand gagnant de 2014 en Syrie serait une analyse partielle. Si aux yeux des occidentaux il parait moins indésirable, la situation sur le terrain ne le donne pas gagnant. Le grand gagnant de 2014 est évidemment l’EI, en Syrie comme en Irak. Plus généralement, le régime subit de plus en plus de défaites face aux groupes rebelles et djihadistes. Le 15 Décembre dernier, les villes stratégiques de Wadi el-Deif et de Hamdiyé ont été prises par le Front al-Nosra. Le régime syrien contrôle aujourd’hui moins de la moitié de son territoire.
Le régime basait sa force sur deux éléments : une structure minoritaire au pouvoir à tous les échelons permettant d’avoir une forte cohésion militaire, et des alliés engagés à le soutenir à travers l’Iran et la Russie. Or, on assiste depuis quelques mois, malgré sa « réélection » en Juin dernier, à un affaiblissement du clan Bachar. Le régime a de plus en plus de mal à mobiliser ses troupes : il y a une véritable usure des hommes et du matériel. Au sein même de la communauté alaouite, Bachar et sa famille sont contestés. De plus, ses deux alliés subissent les sanctions économiques et la chute des cours du pétrole de plein fouet, les obligeant à diminuer leurs aides financières, matérielles et humaines, qui sont indispensables à la survie du régime syrien. La proposition de Moscou d’une conférence en Janvier 2015 pour ouvrir un dialogue avec l’opposition syrienne est la preuve que les propres alliés de Bachar el-Assad ont conscience que désormais, la victoire militaire est improbable et qu’une solution politique est nécessaire.
Quelles perspectives en 2015 ?
Dans une région aussi instable et imprévisible que le Moyen-Orient, il est difficile de prévoir l’avenir du conflit en Syrie. Toutefois, on peut s’interroger sur l’avenir à partir des tendances de 2014 : l’EI va-il confirmer sa montée en puissance, notamment sur le plan financier? Le régime syrien commencera-il à connaître d’importantes défections ? Quel rôle et quel avenir veulent se donner les kurdes en Syrie ? L’opposition va-elle réussir à se construire comme une alternative politique crédible ? Les puissances extérieures arriveront-elles à mieux coopérer sur le dossier syrien ? Autant d’interrogations que 2015 se chargera d’éclairer.