La menace de l’Etat Islamique au Sinaï sur l’Egypte
Le 16 février dernier, 15 militaires égyptiens ont été tués lors d’une attaque contre un checkpoint militaire dans le nord de la péninsule du Sinaï. Revendiqué par l’Etat Islamique au Sinaï, il s’inscrit dans la longue liste d’attentats terroristes commis sur le sol égyptien. Engagé dans la lutte contre le terrorisme aux côtés des puissances occidentales, ces attentats signent l’incapacité du pouvoir égyptien à vaincre ces groupes armés.
La péninsule du Sinaï : base arrière de l’Etat islamique au Sinaï
La péninsule du Sinaï occupe une place centrale dans l’histoire contemporaine égyptienne. Occupée par Israël à la suite de la guerre des Six-jours, puis restituée à la faveur du traité de paix israélo-égyptien de mars 1979, elle est perçue par le Caire comme un espace de souveraineté retrouvé. Pour autant, elle est peuplée en majorité de bédouins qui s’avèrent aussi hostiles au pouvoir central que celui-ci se montre peu disposé à insérer dans la vie économique et politique du pays des citoyens qu’il considère de « second rang ».
C’est dans ce climat de méfiance partagée qu’Ansar Beit el-Maqdis, de sa première appellation, avant qu’en novembre 2014 elle se renomme Wilayat-el-Sinaï, pour marquer son allégeance à l’Etat islamique, a pu prospérer. Malgré un nombre de combattants assez réduit, aux alentours de 1250 hommes, elle dispose d’une force de frappe importante.
Elle s’est ainsi illustrée par la destruction spectaculaire d’un navire de guerre égyptien en juillet 2015. Trois mois plus tard, elle faisait exploser un avion russe en provenance de Charm-el-Cheikh, tuant les 224 personnes à bord. Il s’agissait de l’attentat le plus meurtrier commis en Egypte. Il fut dépassé, en novembre 2017, par le massacre des fidèles d’une mosquée soufiste dans la ville d’El-Arich au Sinaï, lui aussi revendiqué par l’Etat islamique au Sinaï.
De l’opération militaire » Aigle » à » Venger les martyrs «
Les grandes opérations antiterroristes se succèdent sans que de réels progrès sur le terrain s’observent. Si l’Etat islamique au Sinaï est maître d’un territoire plus réduit que par le passé – principalement autour de la ville côtière d’El-Arich contre quasiment toute la péninsule en 2011-, l’armée égyptienne demeure incapable de sécuriser totalement cet espace.
Plus conçue sur l’ancien modèle de guerre classique que sur celui de guerre asymétrique contre des groupes rompus à la guérilla, elle se retrouve la cible d’embuscades et d’attentats, aux conséquences meurtrières. Depuis le début de l’insurrection du Sinaï en 2011, on estime que plus de 300 militaires égyptiens ont été tués.
Surtout que, malgré les progrès réalisés en matière de contre-terrorisme, grâce à l’appui et à l’armement achetés aux armées occidentales, elle reste en ce qu’il s’agit de renseignement, dépendante des tribus bédouines, historiquement implantées dans la péninsule et fines connaisseuses de la topographie de la région. Cela l’a parfois conduit à frapper sans discernement, occasionnant des » dommages collatéraux » au sein des populations civiles.
Au rang des grandes opérations de l’armée figure l’inondation provoquée, à partir de novembre 2014, des tunnels clandestins qui passaient sous la ville égyptienne de Rafah vers la frontière avec la bande de Gaza. Ils permettaient le passage de matériels, d’armes, et aussi, en cas d’offensive, de voies de repli vers ce territoire contrôlé par le Hamas.
La participation du Hamas a longtemps été dénoncée par le régime, qui associe les militants de ce mouvement aux membres de l’Etat islamique au Sinaï. Ces derniers sont eux-mêmes assimilés à des Frères musulmans qui se seraient radicalisés après le renversement du président frériste Mohammed Morsi par l’armée en juillet 2013. Le régime cherche en réalité à légitimer sa répression de la confrérie, sous couvert de lutte contre le terrorisme.
Des projets de développement économique pharaoniques
La péninsule du Sinaï demeure la région égyptienne la moins bien développée économiquement, avec une population largement au chômage. Pour remédier à ce problème, le régime entend favoriser l’activité économique, avec l’appui financier de son riche voisin saoudien.
Il prévoit le développement d’infrastructures, dont dix nouvelles routes s’étalant sur 1139 km, la construction de zones industrielles et résidentielles, pour un montant total de 15,6 milliards de dollars. Parmi les projets évoqués, il est même question de construire des fermes aquacoles le long de la frontière avec la bande de Gaza, dans le but inavoué d’empêcher la construction de nouveaux tunnels.
Un projet a également retenu l’attention des spécialistes de la région. L’Arabie Saoudite souhaite construire un pont de 32km de long qui relierait les deux pays via la mer Rouge et les deux îles de Tiran et Sanafir, cédées récemment à l’Arabie Saoudite. Officiellement, il s’agirait de faciliter le transport de marchandises entre les deux pays, mais en réalité, il permettrait à l’armée saoudienne, en cas de trouble en Egypte, d’intervenir plus rapidement, à l’image de son intervention au Bahreïn en 2011.
Mais on peut douter que ces grandes déclarations soient suivies d’actes concrets. Déjà du temps de Moubarak, le gouvernement avait annoncé de grands projets , sans que ceux-ci ne soient totalement réalisés, ou du moins profitent aux populations locales.
On l’aura compris, la péninsule du Sinaï occupe une place singulière dans le roman national égyptien. Région la plus pauvre du pays, elle sert de base arrière à l’une des branches les plus actives de l’Etat islamique. Ce conflit, souvent oublié, pourrait revenir sur le devant de la scène internationale au moment où les combattants de l’Etat islamique, privés de leur califat en Syrie et en Irak, seraient tentés de continuer leur projet ailleurs.
Sources
http://filiu.blog.lemonde.fr/2018/01/14/larmee-egyptienne-perd-pied-au-sinai.
https://timep.org/commentary/analysis/superficial-gains-but-no-lasting-success-in-sinai-2018/.
https://timep.org/esw/five-years-of-egypts-war-on-terror/.