Iran : les débuts chancelants de l’administration Pezeshkian (2/2)
La présidence iranienne est aux mains des réformateurs pour la première fois depuis deux décennies. Pendant sa campagne, Massoud Pezeshkian a déclaré qu’il s’engagerait à former un gouvernement jeune, technocrate et incluant les femmes et les minorités ethnoreligieuses du pays. Plus d’un mois après son élection, M. Pezeshkian a dévoilé le 11 août la composition de son cabinet ministériel au parlement mais les nominations divisent les partisans du Président.
Un premier vice-président décrit comme « seigneur du silence »
M. Pezeshkian a nommé Mohammad Reza Aref au poste de premier vice-président. M. Aref dirige notamment le « Conseil suprême des réformateurs pour l’élaboration des politiques » depuis sa création en 2015. Il siège également au sein du Conseil de discernement. Si ce conseil a été créé pour résoudre les conflits entre le Parlement et le Conseil des Gardiens, son véritable pouvoir réside davantage dans son rôle consultatif auprès du Guide suprême. Diplômé d’un doctorat en sciences de l’Ingénieur de l’Université de Stanford, M. Aref fut notamment premier vice-président durant le second mandat du réformateur Mohammad Khatami. Les partisans de la nomination de M. Aref le décrivent comme un « pragmatique intelligent ».
Toutefois, certains détracteurs estiment que M. Aref n’a rien accompli de notable au cours de sa longue carrière pour mériter cette nomination. La nomination d’un septuagénaire comme premier vice-président est également en contradiction avec l’accent mis par M. Pezeshkian sur le besoin d’un changement générationnel. D’autres détracteurs ont décrit M. Aref comme « le seigneur du silence », faisant allusion à son passage au parlement de 2016 à 2020 en tant que chef des réformateurs et au cours duquel il avait rarement adopté de positions notables préférant ne pas faire de vagues. Enfin, faisant allusion à la récente nomination d’une femme au sein du cabinet, M. Aref a suscité une nouvelle controverse le 12 août en déclarant que « psychologiquement, l’Iran n’était pas prêt à accepter des femmes à des postes de direction ».
Des nominations ministérielles témoignant d’une quête de consensus
Ancien négociateur nucléaire en chef durant l’administration Rouhani, Abbas Araqchi a été nommé ministre des Affaires étrangères. M. Araqchi est un vétéran de l’appareil diplomatique du pays puisqu’il a déjà été l’adjoint de l’ancien chef de la diplomatie Mohammad Javad Zarif (2013-2021). Si M. Araqchi n’est pas perçu comme un partisan, sa proximité avec M. Zarif est susceptible de susciter une forte résistance de la part du parlement. N’en déplaise aux conservateurs, la nomination de M. Araqchi aurait reçu la bénédiction du Guide suprême. A ce titre, la décision de M. Pezeshkian de se coordonner plus étroitement que d’habitude avec Ali Khamenei semble avoir deux objectifs principaux : obtenir l’assentiment du parlement et apaiser les craintes qu’il puisse être un électron libre.
Eskandar Momeni a été nommé ministre de l’Intérieur. Commandant au sein du Corps des Gardiens de la Révolution, cet ancien chef adjoint de la police serait proche du président du parlement, Mohammad Baqer Qalibaf. Contrairement à certains de ses pairs, M. Momeni n’a pas joué un rôle de premier rang pendant ou après la guerre Iran-Irak. M. Momeni a été chef de la police de la province du Khorasan-Razavi puis a été à la tête du Département de lutte contre les stupéfiants. La nomination de M. Momeni pourrait indiquer la poursuite de l’influence militaire qui a pénétré le ministère pendant le mandat d’Ahmad Vahidi, ministre de l’Intérieur durant l’administration Raissi. Si M. Momeni n’a pas la notoriété de M. Vahidi, il devrait préserver la structure militaire au sein du ministère de l’Intérieur. Sur le plan politique, M. Momeni est perçu comme étant docile et peu enclin à contester l’administration, ce qui correspond à la préférence de M. Pezeshkian pour le maintien du contrôle sans conflits internes.
Dans la continuité de l’administration Raissi
Un candidat particulièrement controversé est Esmail Khatib, ancien disciple du Guide suprême. Ce dernier est l’un des trois ministres de l’administration Raissi que le Président souhaite conserver ; les autres étant le ministre de l’Industrie et du Commerce Abbas Aliabadi et le ministre de la Justice Amin Hossein Rahimi. La reconduction de M. Khatib au poste de ministre du Renseignement a particulièrement suscité des critiques car l’Iran a connu d’importantes défaillances en matière de sécurité sous sa direction avec notamment le récent assassinat du chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran. Quelques jours seulement avant l’assassinat de Haniyeh, que l’Iran a imputé à Israël, M. Khatib avait affirmé que la « plus grande réalisation » de son ministère était « le démantèlement du réseau d’infiltration du Mossad ».
Critiques face aux nominations du président Pezeshkian
L’âge moyen des 19 ministres choisis par M. Pezeshkian est légèrement inférieur à 60 ans et seuls deux d’entre eux ont moins de 50 ans. Cette situation est en contradiction directe avec les critères qui auraient été définis par le comité dirigé par M. Zarif. Selon ces critères, 60 % des ministres devaient être âgés de moins de 50 ans et 20 % des membres du cabinet devait être des femmes. Par ailleurs, M. Pezeshkian n’a nommé qu’une seule femme ministre. Farzaneh Sadeq, âgée de 48 ans et anciennement vice-ministre des Routes et du Développement urbain, a été nommée à la tête de ce même ministère.
Il est notable que si depuis la Révolution iranienne de 1979 plusieurs femmes ont occupé des postes de vice-présidentes – rôle non soumis à l’approbation du Parlement – une seule femme a occupé un poste de ministre. Il s’agissait de Marzieh Vahid Dastjerdi, ministre de la Santé durant le second mandat de Mahmoud Ahmadinejad (2009-2013). Enfin, M. Pezeshkian semble également avoir manqué à sa promesse de campagne d’embaucher des membres de minorités religieuses.
Les critiques à l’encontre de la composition du cabinet ministériel sont problématiques pour M. Pezeshkian car il a besoin du soutien des réformateurs et modérés pour réussir, d’autant plus que la plupart de ses décisions seront contestées par les conservateurs et les partisans de la ligne dure lorsque le gouvernement sera soumis à l’approbation du parlement à partir du 17 août.