Les Bouyides et Seldjoukides mettent le calife sous tutelle
La valse des empires musulmans (3/8). A partir du Xe siècle, deux dynasties, les Bouyides (945-1055) puis les Seldjoukides (1037-1194) contrôlent l’empire abbasside. Ils légitiment leurs conquêtes en laissant sur le trône le calife à Bagdad, qui voit ses pouvoirs extrêmement diminués.
Les Bouyides, des chiites au pouvoir
Avant l’arrivée des Seldjoukides, il nous faut revenir sur la dynastie chiite des Bouyides qui a contrôlé Bagdad de 945 à 1055. La période bouyide est parfois appelée « printemps iranien » en raison de l’origine – le Nord de l’Iran – de cette dynastie. Les Bouyides conquièrent l’empire abbasside grâce aux Daylamites, un peuple perse, dont les soldats sont fidèles et efficaces. Jusqu’à l’arrivée des Seldjoukides, les Bouyides contrôlent l’Irak, l’Iran, le Koweït, la Syrie, l’est de l’Anatolie, l’Afghanistan et le Pakistan actuels. Le règne des Bouyides est considéré comme fondamental dans l’établissement de la doctrine chiite duodécimaine, alors appelée doctrine imamite, aujourd’hui le courant majoritaire du chiisme.
Bagdad devient ainsi la capitale du monde chiite pendant un peu moins d’un siècle. L’administration est ouverte aux branches sunnites, mais la méfiance règne, les Bouyides préférant placer les chrétiens aux postes importants de l’administration.
A la même période, en Asie centrale, la dynastie perse locale des Samanides (818-999) règne en quasi autonomie vis-à-vis du califat abbasside. Cette dynastie, pour se protéger de nombreux raids de tribus venant du Nord et de l’Est, manœuvre habilement et persuade certaines de ces tribus de se convertir à l’islam. Certaines tribus acceptent. C’est notamment le cas du clan des Seldjoukides, peuple turc qui s’installe au Khorassan au IXe siècle, après avoir défait les Ghaznévides à la bataille de Nasa en 1035.
Les Seldjoukides accèdent au pouvoir en s’opposant aux Bouyides
Le chef des Seldjoukides, Tughrul Bey (r. 1037–1063) iranise son peuple et son territoire en le mélangeant à la population locale. Il crée ainsi une identité seldjoukide, qui lui assure un contrôle politique solide. Les Seldjoukides sont considérés comme des promoteurs de la culture iranienne.
En 1055, Tugbrul Bey est appelé par le calife abbasside de Bagdad, qui veut se débarrasser des Bouyides. Tughrul Bey et son armée chassent la dynastie chiite de Bagdad et le chef seldjoukide accède au titre de sultan. Il lui est maintenant possible de légitimer ses envies de conquêtes avec l’aval du calife abbasside.
En effet, les conquêtes ne s’arrêtent pas à Bagdad. L’ennemi numéro un se trouve maintenant être la dynastie chiite fatimide, le chiisme étant considéré comme une hérésie par les Seldjoukides sunnites. Il s’agissait aussi de construire un discours symbolique de conquête sunnite, les Seldjoukides s’étant construits en opposition aux Bouyides.
Installation turque en Anatolie
Après avoir échoué contre la puissante armée fatimide, les Seldjoukides remontent vers le nord, à la conquête de l’Anatolie et de l’empire byzantin. En 1071, le successeur de Toghrul Beg défait les Byzantins à Mantzikert, dans l’est de l’actuelle Turquie. C’est une date importante qui a des répercussions jusqu’en Europe puisque le Pape Urbain II y fait référence dans son appel à la croisade en 1095.
A Bagdad, le calife n’a plus aucun pouvoir, à tel point que même les taxes normalement attribuées à l’armée du calife sont détournées pour l’armée seldjoukide. Les Turcs ne sont d’ailleurs pas les seuls présents dans les hautes sphères de l’administration seldjoukide. On y trouve aussi bon nombre d’Iraniens. C’est par exemple le cas du vizir Nizam al-Mulk, un Perse qui a dirigé l’empire pendant 20 ans au XIe siècle. Il popularise les madrasas, école dédiée à l’enseignement du droit musulman et écrit en persan le Traité du gouvernement, texte célèbre dans la littérature iranienne. C’est d’ailleurs sous l’empire seldjoukide que l’écriture persane (qui avait été laissée de côté au profit de l’arabe depuis les conquêtes musulmanes) et la culture perse sassanide renaît. Au Xe siècle, il est fréquent d’entendre du persan à la Cour de Bagdad et dans l’administration.
Éclatement de la dynastie
A l’intérieur même de la « famille » seldjoukide, des dissensions et des querelles de successions apparaissent dès le XIe siècle. Le pouvoir se morcelle géographiquement, entre l’Iran et la Syrie, chacun revendiquant une autonomie. En Anatolie, de nombreuses principautés sont crées, les Turcs étant parfois payés comme mercenaires par des chefs byzantins, eux même en guerre interne ! En Anatolie, une branche cousine, les Seldjoukides de Rum, sort du lot et domine l’Anatolie bien après la chute de l’empire abbasside. Cette dynastie est d’ailleurs considérée comme l’ancêtre de l’Empire ottoman et de la Turquie actuelle.
Quant au reste des principautés seldjoukides, déjà très affaiblies, elles sont détruites à la fin du XIIe siècle par l’avancée des croisades à l’ouest et par des tribus guerrières turques, à l’est. Ces mêmes groupes seront à leur tour anéanti par les raids Mongols au XIIIe siècle.
Ressources :
Vanessa Van Rentergergem, « Les élites bagdadiennes au temps des Seldjoukides », Presses de l’Ifpo, 2015.
Christophe Picard, « La Mer des califes. Une histoire de la Méditerranée musulmane », Seuil, 2015.
« L’atlas des Empires », Le Monde, hors-série, 2016.
Hérodote.com, « 1055 à 1923 Les Turcs, des Seldjoukides aux Ottomans », 2018.
https://www.herodote.net/1055_1923-synthese-68.php