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Accord militaire Turquie-Ethiopie : un moyen de pression sur l’Egypte ?

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Par Daïanée Tisserand et Marie Lepage

L’année 2020 a été pour la Turquie une année importante du point de vue de sa politique extérieure. Ayant affirmé sa présence dans différentes régions, elle attire l’attention médiatique en posant des pions stratégiques auprès d’acteurs importants sur le plan énergétique, comme diplomatique. Plusieurs dossiers en Afrique ont récemment placé l’Egypte et la Turquie comme concurrents. L’intervention de la Turquie en Libye a projeté l’Egypte au rang de concurrent, cherchant à affirmer sa puissance navale et diplomatique. Son approbation du déploiement militaire des troupes libyennes pourrait selon certains analystes les conduire à une confrontation directe. Plus récemment, la Turquie s’est retrouvée mêlée à un conflit d’importance existentielle pour l’Egypte avec sa vente de drones militaires à l’Ethiopie, avec laquelle l’Egypte entretient des relations ouvertement hostiles depuis le projet du Grand Ethiopian Renaissance Dam (GERD) sur le Nil. 

L’importance du bassin du Nil pour l’Egypte

Le bassin du Nil est un espace sujet à de nombreux conflits géopolitiques. Le défi contemporain est d’établir une régulation précise et égalitaire sur l’utilisation de ses ressources.

Les enjeux d'exploitation du Nil bleu
Les enjeux d’exploitation du Nil bleu – Carte créée par Marie Lepage

Les rivières qui se forment en Ethiopie constituent 85% du débit du Nil en Egypte, laquelle en est, avec le Soudan, le principal exploitant. Le Nil est culturellement représenté comme source de vie et de fertilité. En effet, l’agriculture, l’approvisionnement en eau, le commerce et le tourisme sont florissants depuis toujours autour du fleuve. L’Egypte dépend effectivement à 97% du fleuve. Le Soudan en dépend à 77%, et l’Ethiopie à moins de 5%, en effet, sa production en eau dépendant essentiellement de sources souterraines. L’Egypte s’est ainsi fermement opposée au projet de barrage lancé par l’Ethiopie, sous réserve d’une intervention armée. Ainsi l’approvisionnement d’Addis-Abeba en matériel militaire hautement technologique est une source supplémentaire de tensions entre les deux gouvernements. S’il apparaît manifeste que l’accroissement du rôle de la Turquie dans l’environnement proche de l’Egypte n’est qu’un enjeu secondaire, celui du GERD et de la tension avec l’Ethiopie est un enjeu fondamental et existentiel.

Le litige du barrage de la Renaissance (GERD) en Ethiopie

Le “Grand Ethiopian Renaissance Dam (GERD)
Le “Grand Ethiopian Renaissance Dam (GERD)”, soit le barrage de la Renaissance en Ethiopie à l’origine du contentieux avec l’Egypte.

Le GERD est considéré comme le projet énergétique le plus ambitieux sous le gouvernement de Benishangul Gumuz, et le plus grand projet hydroélectrique jamais élaboré sur le continent. Sa construction, entamée en 2011, a abouti en 2022. Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a officiellement lancé la production d’électricité du grand barrage le 20 février dernier. Cependant, ce projet constitut, depuis son lancement en 2011, un important litige entre l’Égypte et l’Ethiopie mais aussi le Soudan. En effet, le barrage de La Renaissance étant situé en amont du fleuve, le flux des eaux se réduit significativement ou même se tarie en aval (où se trouve l’Egypte).

Les conséquences pour l’Egypte sont d’autant plus importantes que sa dépendance aux ressources du Nil est grande. De plus, le manque d’alliances et la multiplicité des acteurs impliqués dans le conflit ne sont pas favorables à l’Egypte. Pour le pays des pharaons, la plus grande menace serait la désertification de ses terres cultivables dans le bassin du Nil. Cette désertification est aussi liée à une augmentation conséquente du stress hydrique dans une grande partie du territoire égyptien. Les régions désertiques au Sud-Ouest, mais également le désert du Sinaï et la côte Nord sont les plus touchées.

Des relations Turquie-Egypte tendues

L’Ethiopie s’est récemment ajoutée à la liste des pays dotés en drones TB2 par la Turquie. Cette livraison aurait eu lieu lors de la rencontre entre le Premier ministre éthiopien et le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Ankara en août dernier. Ces drones auraient été utilisés pour neutraliser les rebelles du nord du pays. Cet armement a déjà prouvé son efficacité dans le Haut-Karabakh et en Libye. La conséquence sur l’Egypte est immédiate, du fait des relations précaires qu’entretient le pays avec la Turquie. Cet accord peut être vu comme une provocation directe de la Turquie face à l’Egypte. Au sein de ce conflit, l’intervention de la Turquie a semblé raviver la tension au sein de la région. Cette nouvelle coopération militaire mettrait également l’Egypte dans une position difficile face à l’Ethiopie.

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Daïanée TISSERAND

est étudiante à Kedge BS, après deux années de classe préparatoire ECS.

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