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La fin de l’exemption au service militaire des ultra-orthodoxes ?

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Depuis le lancement de la guerre à Gaza, Israël a fait appel à 300 000 réservistes. A l’heure où plane le spectre d’une offensive sur Rafah malgré la résolution 2728 des Nations unies demandant un cessez-le-feu immédiat, le sujet brûlant en Israël est celui de l’exemption au service militaire des juifs ultra-orthodoxes.

Manifestation en Israël demandant le service militaire pour tous.
Manifestation exigeant la fin de l’exemption au service militaire

Aux origines de l’exemption au service militaire obligatoire

Les ultra-orthodoxes représentant environ 13 % de la population israélienne sont exemptés du service militaire depuis la création de l’État d’Israël en 1948. A l’époque, un accord fut trouvé entre David Ben Gourion et le chef des ultra-orthodoxes en échange de leur soutien faisant office de légitimité religieuse. En 1948, 400 jeunes hommes furent exemptés de service militaire. Aujourd’hui, ce chiffre est estimé à 70 000, soit 24 % des jeunes Israéliens en âge de servir. Toutefois, cette exemption n’a jamais été consacrée dans les textes et elle ne se maintient que par décret du gouvernement. Le plus récent date de 2018 et a expiré le 31 mars 2024 malgré les efforts du Premier ministre Benjamin Netanyahou visant à retarder cette échéance afin de faire passer une loi à la Knesset garantissant une exemption permanente. Ses efforts furent sans succès puisque le 1er avril 2024, la Cour suprême a ordonné au gouvernement de cesser les subventions versées aux yeshivas – écoles talmudiques – si leurs étudiants refusaient d’effectuer leur service militaire.

L’opposition des ultra-orthodoxes au service militaire

Les haredims – dénomination des ultra-orthodoxes en hébreu – manifestent régulièrement contre toute tentative de conscription militaire les concernant. Les ultra-orthodoxes estiment que s’ils étaient contraints à rejoindre les rangs de l’armée, cela mettrait en péril leur mode de vie et déclarent préférer la mort ou la prison à l’armée. Les haredims récusent le narratif développé en 1948 par Ben Gourion autour de l’utilité de l’armée en Israël. Deux raisons furent mises en avant : la défense du pays mais aussi l’armée comme creuset servant de moule pour créer un nouveau juif israélien en rupture avec le juif de l’Exil. Les ultra-orthodoxes souhaitent précisément perpétuer ce mode de vie traditionnel antérieur à la création d’Israël. Les haredims sont ainsi méfiants vis-à-vis des répercussions que le service militaire pourrait avoir sur l’ethos même de leur communauté.

Toutefois, les ultra-orthodoxes ne constituent pas un bloc homogène et certains segments de cette communauté seraient prêts à rejoindre l’armée du fait des pressions militaires actuelles mais aussi de celles émanant de la Cour suprême. De plus, il existe déjà un bataillon ultra-orthodoxe qui ne représente néanmoins pas la frange majoritaire de cette communauté. Le rabbin Yehoshua Pfeffer, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem explique ainsi qu’avant le 7 octobre 2023, le problème de l’intégration des haredims au sein de la société israélienne se posait en termes économiques et non militaires. En effet, il était admis qu’une armée plus petite mais plus performante technologiquement serait suffisante mais depuis les cartes ont été rebattues.

La fin du gouvernement Netanyahou ?

Le gouvernement de Netanyahou risque de succomber s’il ne parvient plus à faire durer son jeu d’équilibriste entre ses alliés ultra-orthodoxes et les pressions de la société. En effet, Netanyahou a besoin du soutien des deux partis ultra-orthodoxes de sa coalition – Shaas et Yahadut Hatora – afin de se maintenir au pouvoir et éviter les poursuites judiciaires pour corruption et abus de pouvoir. Paradoxalement, les ultra-orthodoxes membres de cette coalition qui incarnent la quintessence même de leurs attentes, risquent de devoir accepter des compromis pour justement parvenir à rester au pouvoir. De plus, ces mêmes personnalités politiques opposés au service militaire des membres de leur communauté sont vent debout contre les pourparlers de paix qui pourraient permettre aux ultra-orthodoxes de continuer à bénéficier de leur exemption.

Yoav Gallant, ministre de la Défense israélien a déclaré début mars qu’en dépit du respect de son ministère pour ceux qui se dédient à l’étude de la Torah dans les yeshivas, si la sécurité physique du pays n’était pas assurée alors son héritage spirituel risquerait de ne plus perdurer.

A un moment où les soldats et réservistes israéliens risquent leur vie à Gaza, la population estime que tout le monde doit prendre part à l’effort de guerre. Dans un pays où la perception de menaces est omniprésente, un sentiment d’inégalité persiste et beaucoup estiment que si les haredims souhaitent continuer à bénéficier des avantages de l’État-providence et du droit de vote, ils doivent effectuer leur service militaire. De plus, certains experts prévoient que dans deux ou trois décennies, les ultra-orthodoxes pourraient être majoritaires dans le pays alors que l’armée continuera à être un besoin existentiel. Ainsi, l’enjeu dépasse la problématique du « pas de taxation sans représentation » puisque l’existence même d’Israël en serait menacée.

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Ameerah Ismael

Diplômée d'un master en Relations internationales et Diplomatie et d'une licence en Langues étrangères appliquées (anglais-arabe-hindi) de l'Université Jean Moulin Lyon 3. Intéréssée par les enjeux politiques, militaires et sociétaux au Moyen-Orient mais également à l'Extrême-Orient.

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