La domination des conservateurs aux prochaines élections iraniennes (1/2)
À la suite du décès du président iranien Ebrahim Raissi dans un crash d’hélicoptère le 19 mai 2024, des élections présidentielles anticipées se tiendront le 28 juin 2024. Un second tour aura lieu le 5 juillet si aucun candidat ne parvient à remporter 50 % des voix. Le 9 juin dernier, la liste définitive des candidats admis aux élections a été rendue publique. Six candidats ont été approuvés sur quatre-vingts inscrits. La campagne électorale aura lieu du 12 au 26 juin. À première vue, les candidats approuvés suggèrent que l’establishment politique a choisi de maintenir les conservateurs au pouvoir.
Le rôle du Conseil des Gardiens dans les élections
Le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré que la mort de Raissi (2021-2024) n’affecterait pas le déroulement de la vie politique du pays. Cette annonce est un gage d’assurance mais aussi un rappel important : les décisions finales se prennent dans son bureau. La procédure d’approbation des candidats aux élections présidentielles se fait par le Conseil des gardiens (Shoura-ye-Negahban en persan) qui veille également au respect de la Constitution. Ce conseil est composé de douze membres : six experts en jurisprudence islamique (faqih en persan) nommés par le Guide suprême et six juristes élus par le Parlement iranien (Majlis en persan). Sur les six candidats approuvés, trois appartiennent à la ligne dure, deux sont des conservateurs et enfin un candidat est dit « réformateur ».
Une majorité appartenant à la ligne dure
Le premier partisan de la ligne dure est Ali-Reza Zakani. Maire de Téhéran depuis 2021, M. Zakani est un ancien commandant de la force paramilitaire Basij et qui bénéficie d’un soutien total de la part des institutions de sécurité iraniennes. En 2021, il se retira des élections présidentielles afin de soutenir la candidature de M. Raissi. Il est accusé de corruption dans plusieurs affaires. Il est également sur la liste des sanctions du Royaume-Uni depuis septembre 2023 pour violation des droits de l’homme. Durant son mandat de député au Parlement, il était contre l’accord nucléaire en 2015 et le rapprochement avec l’Occident.
Le deuxième partisan de la ligne dure est Saeed Jalili. Ce dernier n’a jamais exercé de fonctions électives et s’est présenté deux fois aux élections présidentielles (2013 et 2021). M. Jalili était le principal négociateur nucléaire pendant son mandat de secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale (CSN) de 2007 à 2013. Aucun progrès ne fut réalisé sur la question nucléaire au cours de cette période. Par la suite, il fut nommé au Conseil du discernement et continue d’être le représentant personnel de M. Khamenei auprès du CSN. Dans un discours prononcé le 11 juin 2024 à la télévision d’État, M. Jalili a indirectement dénoncé la détermination de l’administration de l’ancien président Hassan Rouhani (2013-2021) à négocier avec l’Occident. M. Rouhani a récemment insisté sur le fait que la diplomatie visant à lever les sanctions devait être la priorité absolue du prochain président. M. Jalili a ainsi accusé « certaines personnes » d’avoir paralysé les progrès de l’Iran en ignorant la majeure partie du globe pour négocier avec une poignée de pays « qui ont la plus grande hostilité à l’égard du peuple iranien ».
Le troisième partisan de la ligne dure est Amir-Hossein Qazizadeh Hashemi. Actuel vice-président de l’Iran, M. Hashemi est le directeur de la « Fondation des martyrs » sanctionnée par les États-Unis. La Fondation accorde des prêts immobiliers aux vétérans handicapés et aux familles des soldats tués au combat, qui sont considérés en Iran comme des martyrs (shaheedan en persan). Son financement provient directement du budget national.
Deux conservateurs en lice pour les élections présidentielles
Le premier candidat conservateur est Mohammed Baqer Qalibaf, président du Parlement iranien depuis 2020. Ancien commandant de la force aérienne des Gardiens de la Révolution, M. Qalibaf s’est attribué le mérite de la création des « cités de missiles » souterraines de l’Iran, affirmant qu’elles avaient été mises au point sous sa direction. Il entre en politique au début des années 2000 en tant que maire de Téhéran. Il a été trois fois candidat aux élections présidentielles (2005, 2013, 2017). Ces dernières années, M. Qalibaf a fait l’objet d’une série d’allégations de corruption. Dans le cadre de sa campagne électorale actuelle, il a également déclaré que sa priorité en tant que président serait de conserver les personnes compétentes qui ont travaillé dans l’administration du défunt président Raissi.
Le second candidat conservateur est Mostafa Pour-Mohammadi, le seul religieux en lice. Ancien ministre de l’Intérieur (2005-2008) et de la Justice (2013-2017), il aurait été membre du « comité de la mort » ayant supervisé l’exécution de plus de 5000 prisonniers politiques en 1988. Pour information, Ebrahim Raissi était également membre de ce comité, ce qui lui avait valu le surnom de « boucher de Téhéran ». M. Pour-Mohammadi, qui a servi à la fois dans des gouvernements conservateur et modéré, a suggéré le 12 juin 2024 qu’il était « possible de négocier avec de grands ennemis » à condition d’utiliser « la force et l’intelligence ». Il a ainsi rappelé sa négociation avec le dirigeant irakien Saddam Hussein (1979-2003) concernant le retour de prisonniers à la fin de la guerre Iran-Irak (1980-1988).
Un pseudo-réformiste pour légitimer la liste électorale ?
Fort d’une longue carrière de député représentant la province de l’Azerbaïdjan oriental, Massoud Pezeshkian est un apparatchik avec des inclinations réformistes. Les observateurs de l’Iran voient son approbation comme un pont jeté par l’establishment aux réformateurs qui ont été marginalisés ces dernières années. Sa candidature est également une occasion de créer du soutien populaire à la suite des manifestations ayant secoué le pays après la mort de Mahsa Amini à l’automne 2022. M. Pezeshkian fait partie des trois candidats soutenus par le Conseil de Coordination du Front de la Réforme iranien, une organisation faîtière regroupant les partis politiques réformateurs du pays. Les deux autres candidats réformateurs ont été rejetés : l’ancien vice-président Eshaq Jahangiri (2013-2021) et l’ancien ministre du développement urbain Abbas Akhoundi (2013-2018).
Certains voient l’approbation de M. Pezeshkian comme étant symbolique et il conviendra donc de voir s’il arrivera à galvaniser les électeurs. En effet, en Iran, le président n’est pas un mobilisateur indépendant mais bien une composante d’un système. Certains éditorialistes iraniens affirment que la candidature de M. Pezeshkian ne laissera d’autre choix aux électeurs de tendance réformiste que de se rendre aux urnes. En effet, ils ne pourront plus boycotter le scrutin sur motif de l’absence d’un candidat de leur camp. De plus, M. Pezeshkian étant le seul candidat « réformateur », cela permettra aux électeurs éponymes de se rallier plus facilement à lui. À ce titre, le journal de tendance réformiste Shargh a ainsi titré « 1+5 », en référence au fait que M. Pezeshkian serait opposé à cinq conservateurs. En revanche, l’approbation de cinq candidats conservateurs rendra difficile l’unification du camp rival. D’autres estiment que la candidature de M. Pezeshkian confère aux partisans de la ligne dure une plus grande légitimité pour rester au pouvoir et représente ainsi une grande victoire pour l’establishment politique.
Le positionnement ambivalent de Massoud Pezeshkian
Dans une interview du 10 juin 2024, M. Pezeshkian a critiqué ceux qui accusent les États-Unis d’être à l’origine des difficultés économiques de l’Iran et a insisté sur le fait que l’Iran était à blâmer. Toutefois, la campagne initiale de M. Pezeshkian a suscité des critiques bipartites. En effet, lors de sa première apparition à la télévision, le député a affirmé que s’il était élu, son administration suivrait la voie tracée par son prédécesseur et les politiques définies par le Guide suprême. À ce titre, l’ancien législateur de tendance réformiste Mahmoud Sadeqi a déclaré que les performances de M. Pezeshkian étaient « en-dessous des attentes ». Il a également averti que M. Pezeshkian ne serait pas en mesure de convaincre les électeurs favorables aux réformes s’il ne changeait pas d’approche. De plus, Mohammad Ali Abtahi, un confident de l’ancien président réformateur Mohammad Khatami (1997-2005), a fait remarquer que M. Pezeshkian devrait recruter des collaborateurs plus jeunes, capables de se rapprocher de la société.