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L’Arctique, nouveau miroir de la mondialisation ?

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Pourtant froid et hostile, l’Arctique s’inscrit au cœur des préoccupations contemporaines. La fonte des glaces, conséquence du réchauffement climatique, ouvre de nouvelles opportunités pour les Etats et les multinationales. Source de convoitises, il polarise les intérêts des grands pays qui le considèrent comme le nouvel Eldorado.

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La fonte des glaces découvre de nouveaux gisements d’hydrocarbures et ouvre de nouvelles routes maritimes

En plantant un drapeau en titane à 4200 mètres de profondeur, sous le pôle Nord, en 2007, la Russie avait surpris tout le monde. Pourtant, ce symbole fort est aux prémices d’une série de mesures visant à intégrer davantage l’Arctique dans son giron territorial : réouverture d’une base militaire dans l’archipel des îles de Nouvelle-Sibérie, à l’est de l’Arctique en 2013, multiplication des manœuvres militaires, et mise en place en début d’année d’une commission pour développer les projets économiques dans la zone. Preuve en est, le 4 août dernier, la Russie formulait une seconde requête devant les Nations Unies, après avoir échoué en 2001, revendiquant la souveraineté d’un territoire grand de deux fois la France (1,2 millions de kilomètres carrés) au nord du cercle Arctique. Alors que les experts russes fondent la légitimité de leur dossier sur des preuves géologiques et géographiques selon eux irrécusables, cette énième volonté expansionniste témoigne de l’intérêt stratégique que représente l’océan. Alors, volonté hégémonique pour recouvrer la grandeur passée ou exigence économique pour un membre des BRICS en difficulté ?

Les deux. Car si Vladimir Poutine, ancien agent du KGB, n’a jamais caché sa nostalgie de la gloire passée de l’URSS, il demeure pragmatique. L’Arctique constitue une mine d’or noir et de gaz : selon une étude américaine, 13% du pétrole et 30% du gaz non découvert s’y trouveraient. Elle offre un moyen de contourner l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) jugée instable et garantit aux six Etats souverains (Canada, Etats-Unis, Russie, Danemark, Norvège et Islande) de ces régions polaires une sécurité énergétique. Outre les abondants minerais et pierres précieuses (filons diamantifères, plomb, argent, cuivre, zinc dans le Nunavut au nord du Canada), l’Arctique serait riche en ressources halieutiques et en terres rares. Ainsi, le sous-sol groenlandais abriterait 22 à 25% des réserves de terres rares mondiales, de quoi ébranler le monopole détenu par la Chine sur ce marché.

Tensions et rapports de force

L’intérêt que représente l’Arctique est facteur de tensions entre les six Etats souverains. Ainsi en est-il du passage du Nord-Ouest revendiqué par le Canada, ce à quoi s’opposent les autres Etats souverains qui le considèrent comme une zone de passage internationale. Alors que des organismes internationaux tentent de résoudre les différends, à l’instar du Conseil de l’Arctique créé en 1996, les contestations portant sur les Zones Economiques Exclusives (ZEE) se multiplient. Car si l’océan est clairement délimité, les frontières des régions arctiques terrestres sont difficiles à tracer. Un partage sans heurts de l’Arctique sera-t-il possible ? Faudra-t-il une conférence similaire à celle de Berlin en 1884-1885 pour atténuer les tensions ?

En plus d’aviver les dissensions entre les Etats, les richesses naturelles découvertes ou à découvrir alimentent des velléités indépendantistes dans ces régions. C’est notamment le cas au Groenland où un mouvement sécessionniste s’est formé pour obtenir l’indépendance avec le Danemark malgré une autonomie renforcée. Signe de l’importance de l’Arctique dans la mondialisation, la Chine, pourtant non souveraine, tente d’avancer ses pions dans la région. La première puissance commerciale a ainsi signé, en 2013, un contrat d’exploitation avec le Groenland pour la prospection de métaux stratégiques, notamment de terres rares. La Chine a bien compris l’importance que constituera l’Arctique à l’avenir pour sa balance commerciale : la fonte des glaces laisse entrevoir de nouvelles routes maritimes réduisant considérablement les trajets avec les grands centres de consommation. En moyenne, le passage du Nord-Ouest permettrait de réduire de 5500km un trajet entre l’Europe et l’Asie.

Si l’Arctique a longtemps été en marge de la mondialisation, cette époque est révolue. Nouveau « Far West », il s’intègre de plus en plus dans les mécanismes qui régissent l’économie mondiale. Et alors que les voix s’élèvent dans le monde pour sensibiliser les Etats au respect de l’environnement, l’Arctique semble être oublié quand bien même il subirait plus qu’ailleurs les conséquences du réchauffement climatique, avec une augmentation de 4 à 5° des températures d’ici 2050 selon le GIEC. Finalement, c’est peut-être de gouvernance que manque l’Arctique pour être le véritable miroir de la mondialisation.

 

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