L’Europe de la défense – Mind the Map
Dans le cadre d’un partenariat bilatéral, Les Yeux du Monde publient à intervalles réguliers des cartes réalisées par Mind the Map, un blog fondé par Christophe Chabert, un passionné de cartographie et de géopolitique.
Face aux menaces terroristes, face aux nouvelles menaces hybrides, face à l’instabilité politique croissante aux frontières européennes, l’idée d’une Europe de la défense revient sur le devant de la scène. L’idée d’une « Europe qui protège » et d’une défense commune renaît et la volonté de mettre en place une défense commune est visible chez les dirigeants européens alors qu’en 2015 personne n’envisageait de soutenir la proposition[1] de Jean-Claude Juncker lorsqu’il disait vouloir une « armée commune ». L’Europe est-elle prête à se construire sur cette nouvelle base ? Où en est-on aujourd’hui ? La carte de Christophe Chabert, « L’Europe de la défense », représente l’état de l’Europe de la défense aujourd’hui, entre renforcement de la coopération militaire et persistance des inégalités parmi les capacités de défense des États[2].
Il subsiste aujourd’hui plusieurs obstacles à la construction d’une Europe de la défense. Les inégalités entre les capacités de défense des États sont visibles aussi bien en termes d’effectifs que d’industrie. Seules huit armées des 28 membres de l’Union européenne ont des forces armées supérieures à 40000 soldats. Les inégalités d’effectifs s’accroissent même davantage entre ces huit États : la France possède 312 000 soldats, le Royaume-Uni 155 000 et la Roumanie n’en possède que 70 000. Les inégalités technologiques renforcent la dépendance des armées du petit continent aux puissances nucléaires (France et Royaume-Uni) et maritimes (France et Italie). Enfin seulement cinq États (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède) possèdent un complexe militaro-industriel important. La concurrence entre ces industries de défense limite les possibilités de construction d’une défense commune. Ainsi en 2012, Saab (Gripen), Dassault (Rafale) et de BAE-EADS-Finmeccanica (Eurofighter) se sont concurrencés pour répondre à un appel d’offre émis par la Suisse afin de remplacer ses avions de chasse. L’entretien réalisé avec l’eurodéputé Urmas Paet met en avant la question de la concurrence des complexes militaro-industriels.
Les prémices d’une coopération s’esquissent malgré ces divergences et la concurrence des complexes militaro-industriels nationaux. Ainsi les lois de la concurrence se sont immiscées dans le domaine et obligent les pays à lancer des appels d’offre dans toute l’Europe pour se fournir en armement : hors de question de favoriser le marché national. Des sociétés transnationales se constituent par ailleurs : Airbus, société européenne, et MBDA, filiale commune aux entreprises Airbus, Leonardo (Italie) et BAE (Royaume-Uni). Ces exemples montrent le potentiel de la coopération européenne en matière d’industries de défense.
La collaboration entre les forces militaires s’établit selon une logique intergouvernementale et repose sur la bonne volonté des États membres. Plusieurs organes différents sont ainsi créés : EUROMARFOR, EUROGENDFOR, et EUROCORPS, respectivement forces maritime, de gendarmerie et militaire, ne comptent qu’entre 5 et 7 États participants et fonctionnent séparément.
Quel forme pourrait prendre une Europe de la défense dans les mois à venir ?
Le cadre principal de l’action des pays européens en matière de défense reste celui du Traité de l’Atlantique Nord, dont font partie 22 États membres de l’Union européenne et auquel est subordonné tout développement futur. L’article 42§2 du Traité sur l’Union européenne dispose ainsi que « La politique de l’Union (…) respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». Quelle que soit la forme que prendrait une défense commune, elle ne pourrait se soustraire au cadre imposé par l’OTAN. La mise en place de la coopération structurée permanente (PESCO)[3] apparaît comme le premier pas vers une coopération intégrée en tentant de dépasser les divergences et la dimension intergouvernementale de la défense européenne. Prévue par l’article 42§6 du Traité de Lisbonne, cette mesure permet aux États qui le souhaitent de renforcer leur collaboration en matière de défense. A ce jour, 23 États ont notifié leur volonté de participer à cette coopération renforcée, dont la mise en place a eu lieu lors de la session du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne le 11 décembre 2017.
Mise à jour du TOP 15 des entreprises européennes de l’armement (CA 2016 publié par le SIPRI le 11/12/2017)
Rang européen 2016 | Entreprise | Pays | Ventes d’armes 2016 (millions de $ US) | Part des ventes d’armes sur les ventes totales |
1 | BAE Systems | Royaume-Uni | 22,79 | 95% |
2 | Airbus Group | Trans-européen | 12,52 | 17% |
3 | Leonardo | Italie | 8,50 | 64% |
4 | Thalès | France | 8,17 | 50% |
5 | Rolls-Royce | Royaume-Uni | 4,45 | 24% |
6 | DCNS | France | 3,48 | 99% |
7 | MBDA | Trans-européen | 3,26 | 98% |
8 | Rheinmetall | Allemagne | 3,26 | 52% |
9 | Babcock | Royaume-Uni | 2,95 | 48% |
10 | Saab | Suède | 2,77 | 83% |
11 | Safran | France | 2,60 | 14% |
12 | CEA | France | 2,02 | 44% |
13 | ThyssenKrupp | Allemagne | 1,77 | 4% |
14 | Fincantieri | Italie | 1,60 | 33% |
15 | Cobham | Royaume-Uni | 1,55 | 59% |
Source: SIPRI TOP 100 Arms-producing and military services companies, 2016
[1] http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/03/10/m-juncker-relance-l-idee-d-une-armee-europeenne_4590561_3214.html
[2] https://legrandcontinent.eu/2017/11/29/nous-avons-rencontre-urmas-paet/
[3] https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/34226/Permanent%20Structured%20Cooperation%20(PESCO)%20-%20Factsheet