RDC : l’élection de Tshisekedi, une victoire pour Joseph Kabila (et pour les BRICS)
Une analyse de Loup Viallet, fondateur de « Questions africaines »
Les élections présidentielles congolaises légalement prévues en 2016 se sont finalement tenues le 30 décembre dernier, en même temps que deux autres scrutins : les élections législatives et provinciales. La RDC semble connaître la première transition politique pacifique de son histoire. Néanmoins elle n’est pas sans controverses et si Joseph Kabila quitte la présidence, il semble garder presque tous les pouvoirs.
Après dix jours de coupure d’internet en RDC, l’annonce de la victoire de Félix Tshisekedi est intervenue en même temps mais beaucoup plus bruyamment que celle des coalitions pro-Kabila, données majoritaires à l’Assemblée nationale et dans les provinces. En RDC, les résultats ont été immédiatement contestés par le candidat de l’opposition Martin Fayulu, ainsi que par la Conférence Épiscopale du Congo. Dans un premier temps, l’Union Africaine, la Communauté de l’Afrique australe (SADC), l’Union Européenne, l’ONU, les gouvernements français, belge, britannique et américain ont émis des doutes sur les résultats de l’élection, contrairement aux gouvernements russe, chinois et sud-africain, qui ont reconnu immédiatement le vainqueur. Puis, le rejet par la Cour Constitutionnelle du recours déposé par l’ancien candidat, ainsi que l’absence de mouvements massifs de contestation à Kinshasa et dans les provinces congolaises ont décrédibilisé ses mises en doute et ont rendu l’élection incontestable de l’extérieur.
Que s’est-il passé entre le jour du scrutin et celui de la proclamation des résultats par la Commission Électorale Indépendante ? La situation peut apparaître contradictoire : Emmanuel Shadary, le dauphin officiel de Joseph Kabila, est arrivé troisième à une présidentielle qui a consacré le fils d’un opposant historique, tandis que la majorité présidentielle kabiliste est reconduite au Parlement et dans les provinces. Y-a-t-il eu un arrangement entre Kabila et Tshisekedi comme le suggère Fayulu ? Une manipulation électorale, comme l’ont avancé les évêques congolais ?
Félix Tshisekedi est le nouveau président de la République Démocratique du Congo mais ses pouvoirs semblent déjà très limités par Joseph Kabila, qui reste au centre du jeu politique congolais. Dans ce régime parlementaro-présidentiel, le gouvernement sera issu de la majorité parlementaire favorable à l’ancien président. Aussi le Premier ministre qui sera désigné ne sera-t-il pas contraint de conduire la politique pour laquelle Félix Tshisekedi s’est présenté, et pourra continuer à contrôler l’appareil d’État dans la continuité du pouvoir précédent : les nominations et les décrets présidentiels sont soumis à son contreseing.
Sénateur à vie après son départ de la Présidence, Joseph Kabila pourrait réunir suffisamment de suffrages pour devenir Président du Sénat ou même se faire nommer Premier ministre, beaucoup de possibilités lui sont encore ouvertes pour un retour à la présidence 2023, dans une interprétation congolaise de la stratégie qui a permis de reconduire Vladimir Poutine à la tête de l’État russe en 2012. La cohabitation des deux hommes au cœur du régime congolais sera-t-elle marquée par leur rivalité ou par leur coopération ? D’ores et déjà, leur association façonne un régime politique qui évolue hors de l’influence politique des puissances occidentales et qui semble nouer des alliés puissants parmi les BRICS. Premier partenaire commercial, bailleur de fond et premier créancier de la RDC, la Chine exploite aussi les plus grandes mines du pays. Après la République populaire, l’Afrique du Sud est le 2e fournisseur de la RDC, et son gouvernement cherchait récemment à faire baisser les tarifs douaniers congolais pour y augmenter ses exportations en biens et services. Quant à la Russie, la Fédération a inauguré son premier accord de coopération militaire avec la RDC en juin dernier : ce sont des véhicules russes qui ont assuré le transport du matériel du triple scrutin qui a eu lieu en décembre.