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1968 au Biafra, la naissance d’un nouveau type d’action humanitaire

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La guerre qui oppose la province sécessionniste du Biafra au gouvernement nigérian de 1967 à 1970 est la première – avec celle du Vietnam – à être couverte par la télévision et autant médiatisée. La gigantesque famine qu’elle entraîne donne naissance à une nouvelle forme d’action humanitaire, et encourage l’intervention directe de la société civile dans les affaires du monde. La rupture de la notion de neutralité, qui caractérise l’action humanitaire jusqu’alors avec le travail de la Croix Rouge, deviendra l’élément fondateur d’une intervention d’urgence, de laquelle émergera le concept de droit d’ingérence.

1968 au Biafra, la naissance d'une nouveau type d'action humanitaire
Le colonel Ojukwu déclare l’indépendance du Biafra

La crise du Biafra apparaît dans un tiers monde naissant au cœur de la Guerre froide, dans un contexte de décolonisations récentes. Ses causes sont à la fois géopolitique, économique et idéologique. A noter que le conflit mobilise des acteurs variés, tant au niveau national que régional et international.

Les raisons du conflit

Le Nigeria obtient son indépendance du Royaume-Uni en 1960. Six années plus tard, le général Philip Gowon accède au pouvoir par un coup d’État. Alors que des affrontements ethniques et régionaux ont plongé le pays dans l’instabilité et fait des milliers de victimes à la suite de l’indépendance, Gowon entreprend de redessiner la structure administrative du pays. Auparavant séparé en quatre régions, il souhaite le diviser en douze. Cette initiative fait perdre aux Ibos, l’élite du pays depuis la colonisation, une partie importante de la province du Biafra, alors que des nombreux gisements de pétrole viennent d’y être découverts. Le gouverneur militaire de la région, le colonel Ojukwu, réagit à cette mesure en déclarant l’indépendance de la région en mai 1967. Après plusieurs tentatives de négociations qui échouent, Gowon commence la reconquête militaire de la région. Les sécessionnistes perdent les trois quarts de leur territoire en quelques mois, et sont soumis à un blocus économique de la part du gouvernement central, entraînant une famine de grande ampleur. Après trois années de violences, le Biafra sera finalement réintégré au Nigeria le 15 janvier 1970.

Omniprésence de la crise dans les médias

L’été 1968 constitue le cœur du battage médiatique du conflit, un an après ses débuts. Il s’agit alors du premier drame humanitaire aussi largement médiatisé[1]. Dans une période marquée par la naissance du photojournalisme et l’entrée de la télévision dans les foyers, les journalistes et acteurs de l’humanitaire sont considérés comme les témoins privilégies du conflit. La couverture médiatique de la guerre et de la famine interpelle l’opinion publique occidentale. Contrairement à la guerre du Vietnam à la même époque, la foule ne se presse pas dans la rue pour protester contre le drame en cours. La crise du Biafra suscite un autre engouement, celui de l’engagement volontaire sur le terrain. Les images d’enfants mourants de faim faisant la une de tous les journaux véhiculent l’idée d’un devoir moral d’assistance aux populations assiégées.

Un nouveau type d’action humanitaire

La crise du Biafra aboutit alors à la création d’un nouveau type d’action humanitaire, prônant l’idée d’un droit d’ingérence humanitaire au nom de la responsabilité de protéger. Jusqu’alors, le travail des humanitaires, porté par le mouvement de la Croix Rouge, véhicule la notion de neutralité et d’impartialité vis-à-vis des parties en conflit. Le but premier est de venir en aide aux victimes, de quelque bord qu’elles soient. La neutralité de la Croix Rouge lui permet ainsi d’intervenir sans se confronter aux leaders politiques en conflit, lui donnant accès aux populations vulnérables sans soupçon de soutien aux belligérants adverses. L’année 1968 au Biafra marque une rupture avec cette pratique, et c’est alors que naît l’action humanitaire comme outil de dénonciation politique[2].

Droit d’ingérence

La notion de droit d’ingérence, théorisée en 1979 par le philosophe français Jean-François Revel, est désormais appliquée au monde de l’humanitaire. La souveraineté d’un État pourrait alors être bafouée par les organisation humanitaires au nom de certaines urgences et de la responsabilité de protéger les populations, mises en danger par leur gouvernement. Or, la notion fait débat du point de vue du droit international[3]. En effet, toute mission d’ingérence est contraire aux objectifs fondamentaux de l’ONU. Ainsi, l’article 2.7 de la Charte des Nations unies énonce qu’« aucune disposition de la présente charte n’autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ». Il est en effet difficile de séparer les raisons d’interventions humanitaires des motivations politiques des puissances intervenantes.

La guerre du Biafra, qui a fait plus d’un million de victimes et a fortement mobilisé les opinions publiques occidentales, a ainsi conduit l’humanitaire sur de nouveaux chemins. Le conflit est à l’origine de réformes de la Croix Rouge et de la création de nouvelles organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières et Médecins du monde. Il a également entraîné l’intervention des États et leurs armées dans le domaine humanitaire[4]. Cinquante ans après la crise, le désir d’indépendance est toujours présent. 

[1] Barbara Jung, « L’image télévisuelle comme arme de guerre. Exemple de la guerre du Biafra », 1967-1970, Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, vol. 26, no. 2, 2007, pp. 49-63

[2] Marie-Luce Desgrandchamps, « Revenir sur le mythe fondateur de Médecins sans frontières : les relations entre les médecins français et le CICR pendant la guerre du Biafra (1967-1970) », Relations internationales, vol. 146, no. 2, 2011, pp. 95-108

[3] Mario Bettati, « Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, vol. 20, no. 3, 2007, pp. 381-389

[4] Pierre Micheletti, « Sur fond d’indignation et de pétrole, tout a commencé au Biafra », Le Monde diplomatique, septembre 2008, pp. 24-25

 

 

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