Le retrait des troupes américaines de Syrie : conséquences et bouleversements
Le 20 décembre dernier, sur Twitter, Trump annonçait fièrement : « After historic victories against ISIS, it’s time to bring our great young people home ». Pour le président des Etats-Unis, le groupe Etat Islamique (EI) ne représenterait plus une menace, la guerre serait gagnée et il serait donc temps d’ordonner logiquement le rapatriement des troupes américaines.
Cette décision n’est pas nouvelle. Déjà, le 29 mars 2018, lors d’un discours sur les infrastructures américaines en Ohio, Trump affirmait que les Américains allaient quitter la Syrie « très vite (…) vraiment très bientôt » en contradiction complète avec son ex-secrétaire d’Etat Rex Tillerson et l’actuel conseiller à la sécurité nationale John Bolton. En effet, ces derniers pensent que la présence américaine en Syrie est nécessaire pour contrer le grand ennemi iranien et son influence. Cette décision unilatérale de Donald Trump ne doit cependant pas surprendre car elle respecte scrupuleusement la direction nouvelle que prennent les Etats-Unis : celle d’un protectionnisme qui confine à l’isolationnisme, dans lequel la posture de gendarme du monde n’a plus sa place. Toutefois, cette décision ne fait-elle pas écho à un jeu géopolitique américain plus vaste ?
Le jeu des Etats-Unis et de la Turquie
Le retrait américain concerne directement les deux mille soldats déployés auprès des Kurdes installés au Nord de la Syrie. Cette action ouvre une voie militaire sans précédent à la Turquie qui ne cache pas son hostilité contre les Forces démocratiques syriennes (FDS), largement dominées par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), installées dans cette région et accusées d’entretenir des liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). De ce fait, la pression turque était forte envers les Etats-Unis et ce retrait était donc le moyen de résoudre cette tension entre Erdogan et Trump. De plus, un accord plus large est sous-jacent à cette décision. Ce deal portait essentiellement sur la vente de missiles Patriot à Ankara afin, d’une part, de contrer l’influence de la Russie et de ses missiles sol-air S-400 et, d’autre part, de réintégrer la Turquie dans l’OTAN.
L’abandon des Kurdes
Dans ce marchandage, les grands perdants sont indéniablement les Kurdes. Sacrifiés sur l’autel des relations diplomatiques et jeux géopolitiques américano-turques ; ils vont devoir faire face à la véhémence du dirigeant de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan. Essentiellement, cette colère prend la forme de futures manœuvres militaires turques touchant le nord de la Syrie et, en premier lieu, d’une offensive sur la ville de Manbij, suivie d’une opération anti-kurde à l’est de l’Euphrate. À cet effet, Hulusi Akar, le ministre de la défense turc, annonçait : « Nous avons maintenant Manbij et l’est de l’Euphrate en face de nous. Nous travaillons activement sur ce sujet. », en promettant que les rebelles kurdes « seront enterrés dans leurs fossés quand l’heure sera venue ». Très récemment, le président Trump, face à l’imminence de ce massacre, a menacé les Turcs d’une « catastrophe économique » s’ils venaient à s’en prendre aux Kurdes. Cette menace permettra-t-elle de calmer les velléités d’Erdogan ? Rien n’est moins sur quand on sait que, début janvier, le président turc martelait que son pays n’avait besoin de « l’autorisation de personne » pour lancer son offensive et que celle-ci pourrait s’effectuer quand bien même le retrait des troupes américaines n’aurait pas encore été amorcé. Reste aux Kurdes de devoir négocier au plus vite avec la Russie et le régime syrien afin d’éviter un massacre et de protéger les territoires qu’ils ont conquis.
Une renaissance du groupe EI ?
Selon des rapports rendus publics par les services de renseignement américains, Daesh posséderait encore 17 000 hommes en Irak et 14 500 en Syrie. Bien qu’un retrait précipité des troupes américaines ne puisse entraîner une renaissance du groupe Etat Islamique, un scénario similaire à celui de l’Irak en 2011 sous la présidence Obama serait envisageable. Il faudrait ainsi s’attendre à une recrudescence des attaques terroristes dans la région. Outre cela, selon un chercheur de l’Université Lyon 2, ce départ prématuré pourrait occasionner une fuite des combattants à travers l’Asie et le Moyen-orient, dans des pays comme la Libye, l’Afghanistan, l’Irak ou encore l’Europe.
Dans ce contexte moyen-oriental complètement remanié, la question se pose de l’avenir de la force multilatérale et de la présence française à travers ses forces spéciales. Peut-on continuer sans l’allié américain ? Peut-on assurer la protection de nos troupes alors qu’une offensive à l’initiative de l’un de nos alliés otaniens se prépare et pourrait frapper de manière aveugle une large partie du territoire sur laquelle nos forces sont déployées ? Peut-on encore espérer maintenir une influence occidentale dans cette partie du monde ? N’assiste-t-on pas à un remaniement complet des cartes provoqué, d’un côté, par une Amérique de plus en plus isolationniste et, de l’autre côté, la main mise toujours plus grande d’une alliance étonnante mais fragile regroupant Moscou-Téhéran-Ankara ? Autant de questions dont les réponses restent incertaines.
Sources :
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https://orientxxi.info/magazine/en-syrie-le-retrait-americain-exacerbe-les-incertitudes,2831
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https://orientxxi.info/magazine/le-rojava-en-syrie-entre-compromis-et-utopie,2824
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https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-27-decembre-2018
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http://www.rfi.fr/emission/20190103-retrait-americain-quelles-consequences-syrie
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https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/14/trump-met-en-garde-la-turquie-contre-une-catastrophe-economique-si-elle-attaque-les-kurdes_5408594_3210.html