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Le protectionnisme éducateur de Friedrich List (2/2)

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Si la théorie de Friedrich List a d’abord connu un succès limité, elle est appréciée de ses utilisateurs pour les ambitions politiques qu’elle inclut. Aujourd’hui, la concurrence mondiale et la mondialisation économique et culturelle ont enclenché un cycle d’interrogation sur les bienfaits du libre-échange. Le retour des États-nations dans la géopolitique mondiale entraîne des questionnements légitimes sur les modèles de développement alternatifs.

Une théorie économique au service d’une conviction politique

caricature, libre-échange vs protectionnisme
Caricature britannique montrant les bienfaits du libre-échange par rapport au protectionnisme.

La mise en place de la Zollverein, traduit par « union douanière », en 1834 est un exemple du protectionnisme éducateur. En abolissant les barrières douanières entre les États de la confédération germanique et la Prusse tout en les protégeant des États extérieurs, la Zollverein a permis une standardisation des tarifs douaniers et des politiques commerciales ainsi qu’un développement des industries locales et du ferroviaire. À l’avènement de l’empire allemand en 1871, les industriels locaux étaient devenus les principaux concurrents des Britanniques. La Zollverein montre aussi l’autre objectif du protectionnisme éducateur : la construction d’une identité nationale à travers le développement économique.

F. List perçoit le protectionnisme éducateur comme un outil de construction de la nation. La Zollverein a permis une première unification de la confédération germanique et de la Prusse. L’unification de l’empire allemand dans la galerie des glaces du château de Versailles en 1871 s’appuie directement sur les États constituants la Zollverein. Contrairement au libéralisme issu de la Richesse des nations (Adam Smith, 1776) qui établit l’intérêt personnel comme rouage essentiel du commerce, l’être humain échange avec autrui pour satisfaire son besoin et non par bienveillance, F. List promeut un deus ex machina assurant l’ordre social et économique. Face à la main invisible du marché se dresse la main visible de l’État. Ce dernier intervient dans la production pour assurer le développement de son territoire sans influence extérieure. 

Quels héritages ?

F. List a connu une influence notable en Europe à la fin de sa vie. En France, Jules Méline (1838-1925), Président du Conseil des ministres et ministre de l’Agriculture de 1896 à 1898 s’est inspiré des travaux de Paul Cauwès, économiste admirateur des travaux du Prussien. La loi Méline de 1892 instaure deux tarifs douaniers sur les importations agricoles. Parallèlement, la révolution Meiji (1868-1912) marque une ouverture du Japon vers l’Occident avec un développement interne de l’économie du pays. Les Zaibatsu émergent et forment l’épine dorsale de l’économie japonaise. Sumitomo, Mitsui, Mitsubishi et Yasuda constituent les plus importants conglomérats commerciaux et industriels.

La théorie du vol d’oies sauvages de l’économiste japonais Kaname Akamatsu est une réinterprétation du modèle de développement proposé par F. List. Sa théorie est adaptée localement pendant la décolonisation en témoigne l’Asie du sud-est. Singapour et la Corée du Sud se sont appuyés sur des Etats forts pour organiser leurs politiques industrielles. Les nouveaux pays cherchant à consolider leurs économies mettent en place des mesures protectionnistes.

Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent en Afrique pour réhabiliter le protectionnisme éducatif. En effet, l’économiste camerounais et professeur à l’Université catholique de Louvain, Thierry Amougou, a notamment appelé dans une tribune dans le journal Le Monde en 2019 a s’émanciper du libéralisme comme voie du développement. C’est aussi le cas de Kako Nubukpo, ancien ministre togolais et commissaire à l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) qui vante le protectionnisme.  En effet, il est présenté comme essentiel dans le développement d’une industrie nationale compétitive et indépendante. Par ailleurs, à l’image de la Zollverein, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) doit permettre une homogénéisation des barrières douanières entre les 55 États du continent tout en les protégeant de la concurrence extérieure.

Les limites d’une théorie

Toutefois, de nombreux questionnements subsistent. En effet, une augmentation des tarifs douaniers sur les importations se répercute sur le consommateur. Ce dernier peut se retrouver dans l’impossibilité de satisfaire son besoin. Par ailleurs, l’internationalisation des chaînes de production se verrait perturber. Dans un contexte d’économie mondialisée, une entreprise procède à des importations intermédiaires pour la fabrication d’un produit destiné à l’export. Les mesures protectionnistes se répercutent sur le prix de l’importation et donc sur la valeur d’achat finale du produit. De plus, il est rare qu’une mesure protectionniste ne provoque pas la réaction d’une autre partie. Des mesures de rétorsion s’appliquent dans la plupart des cas, annulant de facto les effets positifs escomptés.

Si l’on se penche sur les théories classiques et néo-classiques, une entreprise en position de monopole n’est pas amenée à innover. De plus, le monopole engendré fragiliserait l’équilibre du prix optimal. En cas de maturité de l’entreprise, cette dernière accepterait-elle de devoir faire face à la concurrence étrangère ? Enfin, si l’Organisation mondiale du commerce (OMC) vise à la diminution des barrières douanières à travers une critique du protectionnisme, elle procède à des aménagements différenciés en fonction du niveau de développement des pays.

La COVID-19 a mis en avant le phénomène de désindustrialisation des pays dits « développés ». Ces derniers pourraient-ils faire appel au protectionnisme éducatif pour relancer une nouvelle industrie compétitive et innovante ?

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Mathis Puyo

Etudiant en études européennes à Sciences Po Strasbourg et titulaire d'une licence en économie gestion. Il s'intéresse particulièrement aux enjeux géopolitiques et économiques de l'industrie de la Défense en Europe.

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