Les Nouvelles routes de la soie: le Sri Lanka à l’ombre de la Chine (3/4)
Le 3 octobre 2013, le président chinois Xi Jinping évoque devant le Parlement indonésien réuni à Jakarta le volet maritime des Nouvelles routes de la soie, vaste projet stratégique initié par Pékin, qui consiste à relier l’Asie et l’Europe au moyen de corridors multimodaux (ferroviaire, aéroportuaire, portuaire). Ce projet reconfigure les espaces traversés, certaines périphéries deviennent des centres, à l’instar du Sri Lanka.
La localisation avantageuse du Sri Lanka

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Le Sri Lanka joue un rôle de pierre angulaire dans la stratégie chinoise des Nouvelles routes de la Soie : l’île se situe au cœur de l’océan Indien, à une dizaine de milles marins du corridor maritime Suez-Malacca, véritable pont entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. Sa position en fait un hub régional avec comme vitrine le port en eau profonde de Colombo, qui occupe en 2024 la vingt-huitième place mondiale, avec plus de 7 780 000 conteneurs manutentionnés.
La localisation de Colombo, deuxième port à conteneurs d’Asie du Sud après celui de Mundra (Inde), permet aux navires marchands de n’effectuer qu’un court détour (4 à 7 heures) depuis le corridor Suez-Malacca, avantage bienvenu dans sa concurrence avec les ports indiens. La localisation du Sri Lanka offre aussi un soutien à la Chine, rassurée d’avoir un allié à proximité de la route maritime Ouest-Est, si essentielle pour ses importations d’hydrocarbures et exportations de produits manufacturés à destination de l’Europe.
Les infrastructures portuaires des Nouvelles routes de la soie au Sri Lanka
Les principaux avatars des Nouvelles routes de la soie au Sri Lanka sont les ports de commerce de Colombo et Hambantota, infrastructures vitales pour un pays insulaire, comme le port de la capitale en témoigne : plus de la moitié des importations sri-lankaises en valeur transite en son sein. Toutefois, la compagnie hongkongaise China Merchants Port Holding (CM Port), filiale de la China Merchants Group, un conglomérat d’entreprises que détient l’État chinois, gère depuis 2013 le principal terminal à conteneurs de Colombo, le Colombo South Container Terminal. Cela signifie concrètement qu’un peu moins de la moitié des conteneurs manutentionnés dans le premier port sri-lankais le sont par une entreprise chinoise.
Il suffit de descendre plus au sud en empruntant l’autoroute E01, construite par des entreprises chinoises grâce au financement de l’Exim Bank, jusqu’à arriver à Hambantota pour trouver l’autre grande incarnation des Nouvelles routes de la Soie au Sri Lanka : le port international de commerce de Hambantota. Tourné en grande partie vers le transbordement de véhicules et le trafic de conteneurs, le port construit à partir de 2007 est administré depuis 2017 par le Hambantota International Port Group, un partenariat public-privé entre le Sri Lanka qui possède 15 % des parts (via la Sri Lanka Ports Authority) et la China Merchant Port Holding qui possède les 85 % restants.
Le cas du Hambantota District
Le prolongement d’une centaine de kilomètres de l’autoroute E01 pour rejoindre Hambantota depuis Colombo n’a donc rien d’anodin, cette infrastructure s’inscrit dans la politique des Nouvelles de la soie, puisqu’elle permet de relier les deux principales interfaces portuaires du pays, et dans lesquelles CM Port a de nombreux intérêts. À quelques dizaines de kilomètres au nord de Hambantota, l’aéroport de Mattala reflète aussi l’ambition chinoise au Sri Lanka. Financé par la China Exim Bank, il s’inscrit dans un projet plus large, celui de transformer le Hambantota District en un nœud multimodal des Nouvelles routes de la soie : infrastructure portuaire (port de Hambantota), aéroportuaire (aéroport de Mattala) et terrestre (autoroute E01).
La stratégie du collier de perles
Déjà loin de faire l’unanimité au Sri Lanka, la présence chinoise inquiète aussi la grande puissance riveraine de l’océan Indien : l’Inde. En effet, le port de Hambantota, qu’administre de facto une entreprise chinoise, est partie intégrante de la politique de balisage mise en œuvre par Pékin dans l’océan indien. Celle-ci se matérialise au moyen d’une chaîne de ports (Djibouti, Gwadar, Hambantota…) destinée à servir d’appui aux navires de commerce chinois en cas d’instabilité régionale (crise politique, terrorisme, piraterie…).
Or, New Delhi considère tous ces ports comme autant de potentiels bases d’appui pour la marine de guerre chinoise en cas de conflit, d’autant plus que plusieurs d’entre eux encerclent l’Inde : Gwadar (Pakistan) à l’ouest, Hambantota (Sri Lanka) au sud et Chittagong (Bangladesh) à l’est. La méfiance de l’Inde vis-à-vis de ces ports étrangers avait viré à la crise diplomatique avec le Sri Lanka en 2022 quand le navire chinois de recherche Yuan Wang 5, que Delhi soupçonne d’être en réalité un navire espion, a mouillé au port de Hambantota, distant de seulement 200 kilomètres du territoire indien.


