Yémen : quelles retombées pour la conférence de Genève ?
Mardi 3 avril, une conférence des donateurs s’est tenue à Genève à l’initiative du Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Le but de cet événement était de lever près de trois milliards de dollars pour le Yémen, destinés au financement du plan d’aide de l’ONU dans le pays pour 2018. Bien que la récolte ait été fructueuse, il s’agit de s’interroger sur les véritables retombées de ces dons pour la population yéménite.
Succès financier
Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a lancé un appel à la solidarité internationale pour lever 2,96 milliards de dollars (soit 2,4 milliards d’euros) afin de financer le plan d’aide des Nations unies au Yémen pour l’année 2018. Plus de 2 milliards de promesses de dons ont été récoltés à l’issu de la conférence du 3 avril, à laquelle il était présent. Pour sa part, l’Union européenne prévoit de débloquer 107,5 millions d’euros, destinés à l’aide humanitaire d’urgence et au développement. Il reste ainsi 8 mois à l’ONU pour récolter le milliard manquant, ce qui reste envisageable puisque d’autres pays ont promis des donations pour la fin de l’année.
En amont de la conférence de Genève, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis avaient déjà contribué à l’appel d’Antonio Guterres à hauteur de 930 millions de dollars, et se sont engagés à recueillir 500 millions supplémentaires d’ici la fin de l’année, auprès des bailleurs de la région. 40% de la somme nécessaire est ainsi couverte en partie par l’un des Etats les plus engagés dans ce conflit. L’Arabie Saoudite, faut-il le rappeler, est en effet à la tête de la coalition contre les forces houthistes.
Action humanitaire limitée
Bien que cette levée de fonds ait été un succès, il ne faut pas oublier que l’accès au pays et aux populations reste extrêmement restreint pour les organisations humanitaires. Alors qu’environ 75% des Yéménites auraient besoin d’une aide d’urgence, il est extrêmement difficile de leur venir en aide. Le blocus – des voies aériennes, maritimes et terrestres – instauré par l’Arabie Saoudite et ses alliés fin 2017 est toujours en place malgré la réouverture du port d’Hodeïda, un mois et demi après le début de l’embargo. L’accès aux populations et tout déplacement des ONG est rendu extrêmement compliqué, car aucune action ne peut être entreprise sans une négociation préalable entre toutes les parties en conflit. Au-delà de ces considérations stratégiques, d’importants obstacles logistiques entravent également le travail des humanitaires (pénurie de carburant, aéroports détruits).
Impasse militaire
Trois ans après le lancement de l’offensive de la coalition menée par l’Arabie Saoudite contre les forces houthistes, le conflit semble aujourd’hui s’enliser et les lignes de front ne bougent pratiquement plus. Alors qu’aucune solution militaire ne semble envisageable, le nouvel envoyé spécial de l’ONU pour le Yémen, Martin Griffiths, a depuis février la lourde tâche de donner une nouvelle impulsion aux négociations. La mission se révèle d’autant plus épineuse que les innombrables acteurs ont jusqu’alors refusé de faire des concessions.
Le conflit yéménite, ancré dans une importante pronfondeur historique, est en effet particulièrement complexe. Au nord, les Houthis, chiites, contrôlent les parties montagneuses et sont régulièrement bombardés par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes unis. Ces derniers disposent de l’apport technique et technologique des occidentaux – Etats-Unis, Royaume-Uni, France – via de conséquentes importations d’armements. Mais, le rapport de force n’est pas significativement en leur faveur. A ce premier front s’ajoute la présence renforcée de Daesh et Al-Qaïda dans le pays, et un troisième front au sud, caractérisé par des velléités sécessionnistes. Ces dernières sont soutenues par les émirats, mais pas par les saoudiens.
Défi politique
La diversité des acteurs, l’absence de pourparlers de paix, ou encore l’exil du gouvernement (le président Abd-Rabbo Mansour Addi s’est réfugié à Riyad depuis le début du conflit), sont autant de facteurs indiquant qu’une sortie de crise à court terme ne semble pas envisageable. Pour obtenir une quelconque avancée, il faudrait avant tout que les forces étrangères se retirent. Cela laisserait la place à une éventuelle politique de réconciliation nationale, qui resterait ardue dans un environnement détruit et un contexte de crise humanitaire aiguë. Mais encore faudrait-il que les occidentaux fassent pression sur l’Arabie Saoudite. Dans tous les cas cette dernière ne se retirera pas facilement du conflit, qui l’oppose indirectement à l’Iran. Le Yémen est en effet le théâtre d’un affrontement d’influence entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, où la lutte entre le chiisme et le sunnisme est fortement instrumentalisée.
Malgré ce contexte de tensions et d’affrontements multiples, Antonio Guterres affirme « qu’un plan d’action menant à un dialogue intra-yéménite peut être préparé afin d’aboutir à une solution politique, avec toutes les parties impliquées dans ce conflit ». Dans l’attente d’un tel scénario, il reste à savoir si les milliards récoltés apporteront une solution humanitaire concrète.