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Rétrospective 2019 : de Santiago à Hong Kong, une année de lutte globale (1/2)

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 En 2019, un tsunami de contestations a balayé le monde. “Les barricades sont les voix de ceux qu’on n’entend pas”, disait Martin Luther King. De Santiago (Chili) à Hong-Kong (Chine), tous les continents – même l’Antarctique – ont été touchés par des mouvements massifs de protestation.

En 2019, le Chili, pays vanté pour sa stabilité, a connu de violentes manifestations.
En 2019, le Chili, pays vanté pour sa stabilité, a connu de violentes manifestations.

Si les étincelles qui ont mis le feu aux poudres diffèrent, les racines de la grogne sont communes. Aux causes économiques s’ajoutent les crises politiques : hausse du coût de la vie, montée des inégalités, critique générale du capitalisme néolibéral, corruption, crise profonde de la représentation politique… Les manifestations ont souvent tourné à l’affrontement avec les forces de l’ordre. Les gouvernements ont réprimé avec plus ou moins de violence les mouvements populaires. Tous pays confondus, l’on dénombre des centaines de morts, des milliers de blessés et d’arrestations.

De la crise en Amérique latine…

Du cap Horn à la frontière mexicaine avec les États-Unis, aucun pays n’a été épargné par la crise. L’Amérique latine a été balayée par des crises électorales (Bolivie), sociales (Équateur) ou encore économiques (Brésil, Argentine). Les crises politiques ont ainsi conduit à la dissolution du Congrès au Pérou ou à la présence de centaines de milliers de personnes dans la rue contre la politique du président de droite Iván Duque en Colombie. Le Chili, décrit comme un havre de stabilité, a lui aussi été aspiré dans le chaos. Au Venezuela, la ruine politique, économique et humanitaire s’est poursuivie en 2019. Le Mexique, englué dans une guerre sans fin contre le narcotrafic, vient de vivre une autre année de violence extrême. Le Honduras ou le Nicaragua sont des champs de mine de mécontentement social. Enfin, Haïti – nous y reviendrons – poursuit sa descente aux enfers.

En Amérique latine, la crise marque la fin de quinze ans de boom économique. L’embellie économique était alors portée par le cours élevé des matières premières et par une croissance rapide de la Chine, grande consommatrice de ressources naturelles latino-américaines. Depuis, le marché des matières premières est redevenu volatile et le rythme chinois de croissance économique a ralenti. De ce fait, l’économie latino-américaine a globalement ralenti (+0,8% en 2019). La fin de l’abondance du début de siècle s’est traduite en une alternance politique, un reflux des gouvernements de gauche et l’instauration de mesures d’austérité. L’on a également assisté à une montée du nationalisme, au Brésil notamment, à la suite d’importantes vagues migratoires.

… A la crise globale

Les bouleversements sociaux et politiques n’ont pas bouleversé que l’Amérique latine. Les rues du monde entier ont été inondées de mécontentements. Les manifestants ont renversé des démocraties libérales comme des dictateurs.

  • Algérie

En Algérie, le mouvement de contestation du Hirak a conduit à la démission d’un Abdelaziz Bouteflika affaibli après 20 ans de pouvoir. Après dix mois de contestation, les manifestants réclament désormais la fin d’un système inique. La victoire d’Abdelmadjid Tebboune, un proche de Bouteflika, à l’issue d’une élection présidentielle marquée par un taux d’abstention record de 60,12%, ne devrait pas calmer les esprits.

  • Soudan

Au Soudan, un fort mouvement de contestation début 2019 a entraîné la chute du régime d’Omar el-Béchir le 11 avril. L’ancien président s’était hissé au pouvoir en 1989 à la suite d’un coup d’État. Omar el-Béchir est inculpé depuis avril. Il a été condamné en décembre pour corruption. D’autres procès pourraient suivre. Les autorités soudanaises enquêtent sur son rôle dans le coup d’État de 1989. En 2009, la Cour pénale internationale avait lancé un mandat d’arrêt à son encontre pour “crimes de guerre et contre l’humanité” et “génocide” au Darfour. Il faut cependant que le gouvernement de transition autorise son extradition. Si le Soudan a réussi à renverser el-Béchir, l’économie du pays reste cependant asphyxiée. Si les États-Unis ont levé l’embargo économique sur le pays, ils n’ont pas retiré le Soudan de la liste noire des “États soutenant le terrorisme”.

  • Hong Kong

Hong Kong, ville semi-autonome au sud de la Chine, est en proie à de violentes manifestations depuis juin 2019. Ces contestations prodémocratie ont pris racine dans le projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine continentale. Outre le pouvoir écrasant de Pékin, les manifestants dénoncent une société hongkongaise très inégalitaire, où dix milliardaires captent 35% du PIB. La nomination de Luo Huining à la tête du bureau de liaison, laisse peu d’espoirs aux manifestants prodémocratie. Le régime de Pékin vise également les défenseurs des droits de l’homme. Les autorités hongkongaises ont ainsi refusé au directeur de Human Rights Watch, Kenneth Roth, le droit d’entrée sur le territoire. La Chine a souligné que l’organisation avait encouragé les manifestants et devait désormais “en payer le prix”.

  • Haïti

Autre pays d’Amérique latine, Haïti poursuit sa descente aux enfers. Les manifestations réclamant la démission du président Jovenel Moïse durent depuis près d’un an. Les contestataires lui reprochent sa mauvaise gestion des dépenses publiques et l’accusent de corruption. Ils appellent à un gouvernement de transition. L’inflation galopante et la pénurie d’essence dans un pays où deux tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, ont entraîné des manifestations particulièrement importantes et violentes. L’ONU fait état d’au moins 42 morts depuis mi-septembre 2019. La situation est de plus aggravée par une forte instabilité politique. Faute d’avoir organisé des élections législatives en novembre 2019, Port-au-Prince n’a plus de Parlement depuis lundi 13 janvier. Jovenel Moïse, très impopulaire, devra gouverner par décret.

Après une accalmie fin 2019, les manifestations ont de nouveau basculé dans la violence au Liban.
Après une accalmie fin 2019, les manifestations ont de nouveau basculé dans la violence au Liban.
  • Liban

Au Liban, la “taxe WhatsApp” a déclenché les manifestations. Alors que le pays fait face à sa pire crise économique depuis des décennies, la valeur de la livre libanaise a chuté en octobre alors que le gouvernement a décidé d’imposer une taxe sur les appels vocaux effectués via des applications de messagerie. Le Premier ministre Saad Hariri a démissionné. Les manifestations se sont pourtant poursuivies, les contestataires réclamant le départ d’une élite corrompue. En décembre, les affrontements violents se sont multipliés alors que le pays n’a plus de gouvernement. Après une accalmie durant les fêtes, les violences ont repris en janvier. Plus de 500 personnes ont été blessées entre le 18 et le 19 janvier Le nouveau gouvernement, formé le 21 janvier, a promis de répondre à la lutte contre la corruption. Un énième remaniement pourra-t-il calmer la colère des libanais ?

  • Irak

En Irak, des manifestations antigouvernementales ont éclaté en octobre 2019. À Bagdad et dans les principales villes du pays, les manifestants se révoltent contre le chômage, la corruption, le manque de services publics mais aussi la tutelle de l’Iran. Ils réclament la chute du régime depuis maintenant trois mois. Depuis l’élimination du puissant général iranien Soleimani par les États-Unis à Bagdad, les protestataires anti-pouvoirs rejettent également la présence américaine sur leur sol. “Non à l’Iran ! Non à l’Amérique”, scandent-ils par milliers. La répression conduite par les forces de sécurité – qui ont intégré en leur sein des milices pro-iraniennes comme Hachd al-Chaabi – a fait au moins 460 morts et plus de 25 000 blessés.

  • Iran

Des manifestations ont eu lieu en Iran pendant la deuxième quinzaine de novembre pour protester contre l’augmentation de 300% du carburant. La population souffre des sanctions économiques. La forte inflation a multiplié le prix du pain par cinq. Les manifestants ciblent la République islamique dans sa globalité. Selon Amnesty International, on dénombre au moins 300 morts et 7 000 arrestations. Début janvier, les protestations contre le régime ont repris à la suite du crash du Boeing ukrainien. L’indignation provoquée par le drame et les mensonges des autorités sur le sujet a poussé des centaines de manifestants – principalement des étudiants – dans la rue. Alors que le régime de la République islamique a resserré les rangs chiites autour de lui après l’assassinat de Soleimani, l’on peut craindre que toute manifestation anti-pouvoir soit désormais réprimée dans le sang.

La révolte a touché les pays du Nord en 2019

La liste précédente n’est pas exhaustive. Au Caire, où les manifestations sont interdites depuis le coup d’État militaire de 2013, les égyptiens ont réclamé le départ du président Sissi après des allégations d’utilisations de fonds publics à des fins personnelles par de hauts responsables. En Géorgie ou au Zimbabwe, où le régime a interdit toute manifestation, le peuple menace les gouvernements. L’on a assisté à des protestations à Bogota, Prague, Budapest, Jakarta, New Delhi ou encore Manille. En Russie, l’opposition s’est soulevée en septembre contre le refus de la commission électorale de valider une soixantaine de candidatures pour les élections au Parlement de Moscou. En Espagne, les indépendantistes catalans ont vivement réagi à la lourde condamnation de neuf de leurs dirigeants pour leur rôle dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017.

La France n’a pas non plus échappé à la crise sociale. Le mouvement des Gilets jaunes, en cours depuis le 17 novembre 2018, a laissé place aux mobilisations contre la réforme des retraites. Une large frange de la population critique vivement la politique macronienne. Ainsi, la côte de popularité du président Macron n’a plus dépassé les 30% depuis juillet 2018. Il faut ajouter à ce tsunami de protestations anti-gouvernementales des mouvements environnementaux massifs. Ceux-ci, emmenés par Greta Thunberg, réclament un changement radical de système économique pour préserver des conditions favorables à la vie humaine sur Terre.

L’année 2019 a alors reflété une mobilisation politique sans précédent aux conséquences mondiales. Les étincelles économiques, politiques ou sociales ayant mis le feu aux poudres sont indissociables d’une situation sociale déjà explosive qui puise ses racines dans la crise économique de 2008 et la crise du paradigme néolibéral imposé à partir des années 1960.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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