La politique du Vatican à l’égard des catholiques de Chine: Pékin conserve toutes les cartes en main.
Le 16 juin 2018, le Vatican a relancé les pourparlers avec le gouvernement chinois sur l’épineuse question de la nomination des évêques. Depuis la révolution communiste, la Chine continentale tolère la pratique des trois principaux cultes chrétiens mais refuse l’intervention d’autorités étrangères sur l’Eglise nationale. Entre le Saint-Siège et la République populaire, la reprise du dialogue pose en creux les questions de Taïwan et l’église souterraine chinoise.
La République Populaire de Chine est régie par la constitution de 1982 dont l’article 36 prévoit l’indépendance des cultes nationaux vis-à-vis de l’étranger. L’alinéa 3 se lit comme suit : « Les groupements religieux et les affaires religieuses ne doivent subir aucune domination étrangère ». Ainsi, le gouvernement de Pékin a constitué l’Association Patriotique des Catholique Chinois (APCC), un organe contrôlé par l’Etat destiné à superviser l’exercice du culte catholique. Loin d’être un simple outil de contrôle, l’APCC s’est octroyé le droit de nommer les prêtres et les évêques, et opère régulièrement des révisions dans la liturgie: interdiction est faite aux croyants de prononcer les mots « Jésus est notre seigneur », obligation de prêter serment au Parti avant le début des messes, disposition de portraits du président chinois sur les murs des églises… Les protestants et les orthodoxes se voient également assignés leur propre organe étatique.
Dans ces conditions, deux voies alternatives s’ouvrent aux réfractaires de ce culte revisité par le Parti : les Eglises internationales, qui nécessitent la connaissance d’une langue étrangère et se comptent sur les doigts d’une main, ou l’église souterraine, des messes catholiques loyales à Rome célébrées en toute illégalité dans des lieux privés sous la férule d’ecclésiastiques reconnus par le Saint-Siège.
La dynamique religieuse en cours sur le territoire chinois incite le Vatican à reprendre les discussions avec les autorités chinoises.
Malgré une propagande officielle résolument anticléricale, le nombre de chrétiens officiellement enregistrés en Chine connaît une expansion inédite : 18 millions de croyants en 2004, 38 millions en 2016. En comptant les « réfractaires » aux organes étatiques chinois, les estimations tournent autour de 70 millions de fidèles en Chine, soit un peu plus de 5% de la population. Une dynamique qui profite avant tout aux protestants et aux nouveaux venus que constituent notamment les évangélistes et les témoins de Jéhovah.
Dans ce mouvement de diffusion rapide de la foi chrétienne, le Saint-Siège espère tirer son épingle du jeu. Nonces et services diplomatiques tentent de ménager au pape le moyen d’aiguiller la dynamique chrétienne de Chine dans le sens de la foi catholique. De son côté, contre la possibilité d’accéder à la communauté chrétienne chinoise, Pékin réclame in petto le concours du Vatican pour dynamiter l’église souterraine. Comme acte de bonne volonté, le pape a démis deux évêques officieux fidèles à Rome afin de laisser la place à des successeurs gouvernementaux, et dont l’un se trouve sous le coup d’une excommunication, comme le révèle l’évêque hongkongais Joseph Zen Ze-Kiun dans une lettre ouverte du 29 janvier 2018.
Le pape pris entre les feux des catholiques taïwanais, hongkongais, chinois, et la politique intérieure chinoise.
Par la reprise des négociations, le Saint-Siège semble donc vouloir faire le pari de la coopération avec Pékin. Contre le droit de nommer les évêques locaux, le pape permettrait de fait au gouvernement chinois de superviser l’ensemble de la communauté catholique de Chine, en sapant la raison d’être de l’église souterraine. Dans le même temps, ce marché impliquerait la rupture diplomatique entre le Vatican et Taïwan, une île pourtant forte de 303.000 fidèles (en vertu du principe diplomatique chinois One China Policy).
Cette perspective pose le risque d’un schisme entre l’église chinoise souterraine et Rome. La communauté catholique de Hong Kong se fait l’écho de cette inquiétude: ses représentants accusent le pape de « vendre l’Eglise catholique en Chine ». Le sabotage de l’église souterraine par le Vatican est certes un argument de poids dans les négociations entre les deux Etats, mais il pourrait bien se retourner contre le pape. Il est possible que les réfractaires préfèrent l’autonomie vis-à-vis du PCC aux bonnes grâces du Saint-Siège. Comme l’exprime Joseph Zen Ze-Kiun dans sa lettre: « Pourrait-on imaginer un accord entre Saint Joseph et le Roi Hérode ? »
Cette préférence possible d’une schisme à la soumission à un « Hérode » asiatique est accréditée par la récente politique intérieure du gouvernement chinois. En sus des destructions spectaculaires d’églises de janvier 2018, l’administration de Xi Jinping a récemment renforcé ses dispositions légales relatives aux religions du livre, criminalisant notamment le prosélytisme. Les bibles et ouvrages religieux chrétiens ont été retirés des principales plateformes de vente en ligne. Enfin, l’Administration d’Etat pour les Affaires Religieuses a lancé en mars 2018 un plan quinquennal destiné à « socialiser le christianisme en Chine » pour y introduire notamment la nouvelle doctrine politique du président Xi Jinping. On observe une accélération flagrante du contrôle de l’Etat sur cette religion dont le nombre approche dangereusement celui des adhérents du Parti Communiste Chinois, la ligne rouge à ne pas franchir.
Dans ces conditions, le fait de traiter avec le gouvernement chinois pourrait rompre les liens entre les catholiques chinois, qu’ils soient du continent, de Hong-Kong ou de Taïwan, avec le Saint-Siège. Un résultat aux antipodes de l’objectif du Vatican…mais qui correspond bien à l’esprit de la constitution de république populaire de Chine.