Municipales au Chili : tout le monde gagne, sauf la démocratie
Les élections municipales chiliennes du 23 octobre 2016 ont permis de mettre une fois de plus en lumière la déconnexion entre la population et le politique. Décryptage des résultats et des enseignements à tirer pour la présidentielle de l’an prochain.
S’il ne fallait retenir qu’une chose des élections municipales chiliennes, ce serait l’abstention historique qui a marqué ce scrutin. Auparavant, le vote était obligatoire dans ce pays, jusqu’aux dernières élections municipales de 2012. Déjà à l’époque, l’abstention était de 57,8%. Cette année, elle a atteint un niveau record à 65,08%, c’est-à-dire que près de deux électeurs chiliens sur trois ont préféré ne pas participer à ce qui constitue pourtant l’élection impactant le plus leur vie quotidienne. Comment expliquer ce refus de la majorité de la population de s’impliquer dans la vie politique du pays ? Tout d’abord, à titre personnel j’ai pu me rendre compte que beaucoup de personnes ne savaient pas précisément quelle était la date de l’élection ou quels étaient les candidats en lice, signe d’un désintérêt le plus total. De plus, le climat de défiance vis-à-vis du personnel politique atteint des records, en raison des nombreux scandales de corruption ayant surgi ces dernières années : le « tous pourri » est une opinion largement répandue dans la population. Toutefois, contrairement en France – bien que l’abstention y augmente également – cela ne va pas se traduire par un vote vers les extrêmes mais par le refus de participer au jeu démocratique : ce ne sont pas seulement les pays européens qui semblent en crise politique mais bien l’ensemble des démocraties occidentales. Enfin, le manque de visibilité des candidats avec une nouvelle loi limitant le financement des campagnes électorales a incité de nombreux électeurs à rester chez eux plutôt que de voter pour quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas. Avec une participation électorale aussi faible, de nombreux maires ont donc été élus avec à peine 10 à 15% du total des inscrits, avec des écarts de quelques centaines de voix sur leurs concurrents. Autant d’éléments qui ne pourront que contribuer à délégitimer leur action municipale.
Autre information de l’élection de ce dimanche : le coup porté à la Nouvelle Majorité (NM) de la présidente Michelle Bachelet. Cette dernière est actuellement face à une impopularité record depuis le retour de la démocratie dans le pays et affaiblie par des affaires de corruption atteignant sa majorité (dont une affaire, le Caso Caval, qui touche directement son fils et sa belle fille). Le ralentissement économique du pays et son incapacité à imposer les grandes réformes promises lors de son élection ont grandement influencé les résultats. Sortie gagnante des dernières élections de 2012, sa coalition de centre-gauche s’en est relativement bien sortie au plan national avec 37,05% des voix, grâce aux primaires organisées dans les grandes villes ayant empêché une profusion de candidats de gauche. Si la majorité gouvernementale a conservé de nombreuses villes de province (Iquique, Copiapó, La Serena, Concepción ou Rancagua), elle a cependant enregistré des pertes symboliques, notamment la capitale Santiago. Si la droite – Chile Vamos – a réalisé un score national semblable (38,45%), elle sort renforcée de ces élections par la prise de Santiago et la victoire dans d’autres grandes villes comme Viña del Mar ou Providencia. Les conservateurs se positionnent en favoris pour les présidentielles à venir.
La présidentielle de 2017 en ligne de mire
L’abstention, la défiance envers la politique traditionnelle et le mode de scrutin à un tour ont permis l’émergence de candidats indépendants, en marge du bipartisme qui règne au Chili. Ainsi, un autre fait notable de ces élections est la prise de grandes villes par des candidats anti-système. Le cas le plus emblématique est celui de la ville de Valparaíso : le plus grand port du pays a été remportée avec 53,75% des voix par Jorge Sharp, un avocat de 31 ans qui s’est présenté avec le Mouvement Indépendantiste (gauche). Il ne s’agit pas d’un cas isolé : d’autres grandes villes ont été remportées par des candidats indépendants comme à Arica avec la victoire de Gerardo Espindola ou à Antofagasta avec Karen Rojo. Ainsi plan national, les candidatures d’indépendants ont rassemblé 17,37% des voix malgré leur absence dans beaucoup de grande ville, signe d’une volonté de renouvellement du personnel politique chilien et de mettre fin au bipartisme.
Ces élections donnent le ton sur ce que devrait être la campagne présidentielle à venir, où les candidats devront proposer des solutions pour renouer un lien avec la population chilienne. Alors que Michelle Bachelet ne pourra pas se représenter – il est impossible d’exercer deux mandats consécutifs – c’est pour le moment son prédécesseur conservateur Sebastián Piñera qui fait office de favori. Les élections de 2017 pourraient constituer un point de rupture si le message envoyé par les électeurs n’était pas entendu et continuer à souligner le recul de la gauche en Amérique du Sud.