La commémoration du massacre de Nankin en Chine : des interprétations politiques
Le 13 décembre, la Chine a commémoré le 80e anniversaire du massacre de Nankin. Plusieurs personnalités haut-placées, y compris le Président de la RPC Xi Jinping, ont assisté à la cérémonie devant le Memorial Hall pour les victimes du massacre de Nankin. Bien que présent, Xi Jinping a gardé un profil bas, confiant notamment le discours officiel au président du Comité national de la conférence politique consultative Yu Zhengsheng. Alors que les appels à la paix et au développement des relations avec le Japon ont été faits, les différends historiques et territoriaux persistent entre les deux États.
Évolution de l’interprétation du massacre de Nankin
Pour la quatrième fois depuis 2014, la Chine commémore officiellement le massacre de Nankin, ce qui démontre que les atrocités de la guerre sino-japonaise de 1937-1945 restent vives dans la mémoire collective chinoise. Le 13 décembre 1937, suite à la prise de Nanjing, alors capitale de la Chine, par l’armée japonaise, celle-ci y a commis des atrocités (meurtres, viols et pillages). Aujourd’hui, les interprétations chinoise et japonaise du massacre varient largement. La Chine insiste sur le nombre de victimes, évalué à 300 000 personnes, même si ce chiffre est considéré comme surévalué par un certain nombre d’experts. Les historiens japonais estiment qu’il y a eu entre 40 000 et 200 000 victimes. Certains d’entre eux nient le fait même que le massacre ait eu lieu, ce qui provoque un fort sentiment d’indignation chez les Chinois. Ces différends ont été davantage mis en évidence par le mécontentement du Japon suite à l’inscription en 2015, sur le Registre de la mémoire du monde de l’Unesco, des documents relatifs au massacre de Nankin.
Cependant, l’importance symbolique du massacre de Nankin est un phénomène relativement récent et qui reflète tout particulièrement la crise générale des relations sino-japonaises. Pendant la Guerre froide, le massacre ne faisait pas l’objet de discussions bilatérales par crainte d’exacerber les rapports sino-japonais déjà en crise. Le déclin des relations sino-japonaises est arrivé à son terme après la Révolution culturelle avec la signature du Communiqué commun en 1972, rétablissant des relations diplomatiques entre ces deux États et par la conclusion du Traité de paix et d’amitié en 1978. Dans les années 1980, la Chine a mis l’accent sur la réunification du pays et sur le passé commun des communistes et des nationalistes. À cette fin, par le biais de l’instrumentalisation politique de l’histoire, le massacre de Nankin et la guerre sino-japonaise ont été réhabilités dans la mémoire collective chinoise pour répondre aux objectifs politiques du pays.
Le massacre de Nankin dans le contexte actuel
L’établissement en 2014 du Jour de commémoration du massacre de Nankin le 13 décembre, au même titre que le Jour de la victoire, a coïncidé avec une nouvelle étape dans la détérioration des relations entre la Chine et le Japon. Tout au long des années 2000, des incidents impliquant des navires japonais et chinois se sont produits dans la mer de Chine orientale autour des îles Senkaku (Diaoyu), qui font depuis longtemps l’objet d’un contentieux territorial entre les deux États. La nationalisation des îles en question par le Japon en 2012 a définitivement conduit leur relation dans une impasse. Dans ce contexte, l’établissement du Jour de commémoration du massacre de Nankin peut être vu, dans une certaine mesure, comme une riposte à ce que la Chine considérait comme politique agressive du Japon.
Le scénario d’une résolution des différends politiques et historiques entre la Chine et le Japon semble difficilement envisageable au vu de l’ascension au pouvoir des hommes politiques forts favorisant une ligne dure. Alors que le Congrès du Parti communiste chinois a réaffirmé le pouvoir de Xi Jinping, le Premier ministre japonais conservateur Shinzô Abe a également réussi à renforcer sa position suite aux élections législatives anticipées d’octobre 2017. Ces deux victoires offrent une perspective assez sombre quant à l’avenir des relations sino-japonaises. De caractères ambitieux, les deux hommes politiques qui ont déjà conduit les relations sino-japonaises dans une période critique vont probablement garder des positions fermes quant aux questions des îles Sinkaku et de l’expansion chinoise dans la mer de Chine du Sud. Cependant, les deux dirigeants, Xi Jinping et Shinzô Abe, font face à au moins un problème commun, celui de la nucléarisation de la Corée du Nord. Au vu des risques induits pour la Chine et pour le Japon, la résolution de ce problème peut devenir un terrain d’entente diplomatique entre les deux États. Ainsi, le jeu de puissance entre la Chine et le Japon va potentiellement définir le cadre de l’équilibre régional et de sécurité en Asie-Pacifique pour les prochaines années.