Les armateurs grecs, première flotte mondiale
Souvent mise en miroir avec la triste santé économique du pays, les armateurs grecs ont su conserver leur statut de chauffeurs de taxis des mers. A tel point qu’ils représentent aujourd’hui encore la première flotte commerciale mondiale.
La mer comme facteur clé de développement
Avec plus de 13 000 kilomètres de côtes, nul ne doute que la Grèce fut par nature prédestinée à se tourner vers la mer. Dans l’Antiquité déjà, les armateurs grecs, installés de Marseille à Alexandrie parcourent la Méditerranée pour commercer. Mais c’est au XVIIIe siècle que les fortunes des armateurs se constituent. Le pays voit alors en la mer un moyen d’émancipation et de liberté vis-à-vis de la tutelle ottomane, à la Marine par ailleurs peu puissante.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la situation est terrible en Grèce. La Grèce est un des pays qui a payé le plus lourd tribut humain en pourcentage de sa population. L’extrême pauvreté, la faim et la maladie règnent un peu partout, 95 % du matériel ferroviaire, 70 % des ponts et plus de la moitié du réseau routier sont hors d’état. L’armement maritime est alors la seule activité qui peut permettre au pays de remplir les caisses de l’Etat. Il s’agissait alors de fixer en Grèce cette activité en lui octroyant des défiscalisations sacralisées dans la Constitution. Nombre d’armateurs ont en effet mis la partie non saisie par les nazis de leur flotte au service des alliés. A la fin de la mer, ils se verront recevoir des liberty ships américains ainsi que des navires italiens pour compenser les pertes subies pendant la guerre.
En seulement quelques années, et porté par des visionnaires comme Niarchos ou Onassis, le petit monde des armateurs grecs prend la tête du commerce maritime mondial. Notamment en faisant construire des bateaux toujours plus grands, inventant ainsi les premiers super-pétroliers.
Le pan de l’économie grecque le plus résilient
Aujourd’hui encore, l’armement Grec constitue le secteur économique le plus riche du pays, devant le tourisme. En effet, les armateurs ont été peu touchés par la crise économique qui frappe la Grèce. Le volume d’échanges qui transite avec le pays ne représente que 1 % de leur activité, et leurs comptes sont par ailleurs majoritairement libellés en dollars. Par ailleurs, à la faveur de la crise, les armateurs grecs ont grandement renforcé leurs liens avec la Chine. La flotte grecque achemine ainsi 60% des importations chinoises de brut.
Il représente en effet 6,7% du PIB, et emploie 200 000 personnes à travers le pays. Selon le classement international des armateurs annuel de Clarksson publié en 2015, les Grecs possèdent le plus important tonnage au monde, avec pas moins 196 millions de tonnage brut, soit 16% des capacités mondiales, devant le Japon (13%), la Chine (11%) et l’Allemagne (7%). Au total, ce sont plus de 3500 navires répartis au sein de plus de 750 compagnies maritimes enregistrées en Grèce que possèdent les armateurs hellènes.
Les plus célèbres d’entre eux représentent la quatrième génération d’armateurs grecs, formée dans les meilleures universités, comme George Economou, passé par le MIT. Beaucoup d’entre eux ont élus domicile à Londres, où ils constituent plus d’un quart des membres du Baltic Exchange, la bourse dédiée aux affrètements maritimes de la City. Londres reste en effet le premier carrefour mondial des affaires maritimes en matière de financement, d’assurance, de courtage et d’affrètement. Idéalement située en termes de fuseaux horaires, la ville possède également de nombreux professionnels rodés aux affaires maritimes. Historiquement, les premières familles d’armateurs grecs sont arrivées à Londres au milieu du XIXe siècle afin d’y acheter des bateaux à vapeur. Un siècle plus tard, les Empereurs du monde de l’armement que deviendront bientôt Onassis et Niarchos les rejoignent, fuyant la guerre civile et l’instabilité politique qui ravagent le pays de 1946 à 1949.
Une contribution fiscale insuffisante à l’effort de redressement de la Grèce ?
Néanmoins, les raisons de cet ancrage Outre-Manche sont également fiscales. Malgré une éphémère tentative de remise en cause par Gordon Brown en 2008, le statut de « résidents non domiciliés » permet aux armateurs grecs une imposition sur les seuls revenus générés au Royaume-Uni, et non pas sur l’ensemble de leur patrimoine, soit une situation similaire à celle dont ils bénéficient en Grèce.
En effet, l’article 107 de la Constitution Grecque prévoit un statut fiscal protégé pour les armateurs. Les propriétaires de navires sont autorisés à constituer leurs sociétés en Grèce comme s’il s’agissait d’entités offshores, donc non soumises à l’impôt sur les sociétés. Ils doivent simplement acquitter une taxe forfaitaire sur le tonnage des navires battant pavillon grec (environ ¼ de la flotte commerciale grecque). Ce régime introduit au sortir de la seconde guerre mondiale fut renforcé dans les années 60 pour faire revenir au Pirée des armateurs déjà très présents à Londres. Le problème est que l’immunité fiscale des armateurs concerne leurs avoirs en Grèce. Le fisc ne peut tout simplement pas vérifier les comptes de leur société et il suffit qu’un armateur garantisse que telle ou telle personne possède une partie du capital de sa compagnie pour qu’elle aussi échappe au fisc. Et comme ce dernier ne peut pas vérifier que l’armateur dit la vérité…
Cependant, la crise dans laquelle s’est enfoncée le pays en 2013 a conduit le gouvernement à demander plus d’efforts aux armateurs grecs. Un impôt exceptionnel a ainsi été voté en décembre 2013 pour taxer les armateurs en fonction de la taille des bâtiments pendant 3 ans. En parallèle, les armateurs ont multiplié les gestes de solidarité avec leur pays. A titre d’exemple, la fondation Alexandre Onassis soutient encore de nombreuses causes caritatives et étudiantes à travers le pays. Malgré tout, il demeure difficile pour le gouvernement Tsipras de demander plus d’efforts à une activité extra-territoriale par nature alors que seulement 24 heures sont nécessaires pour modifier le régime fiscal d’un bateau. D’autant plus quand on connaît l’attractivité du secteur pour les fonds d’investissement, notamment du fait des taux très rémunérateurs, de la souplesse et de la diversification de la flotte commerciale Grecque. En effet, ses bateaux appartiennent à tous les genres : vraquiers, pétroliers, navires de services pétroliers. Ils restent cependant peu nombreux dans le secteur en surcapacité du container. Ainsi, alors que le septième armateur mondial, le coréen Hanjin, faisait faillite en septembre dernier, la filière Grecque s’est montrée relativement résiliente. De quoi envisager l’avenir avec sérénité malgré le ralentissement de la croissance mondiale.