Proche et Moyen-Orient

Riyad et l’art de la diplomatie sportive

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Au cours de l’histoire, la diplomatie sportive [1] a souvent été utilisée pour influencer les relations sociales et politiques. Avec la transformation de la scène politique internationale, le sport est devenu l’un des facteurs les plus puissants du rayonnement d’un État dans le monde. Outil prisé des monarchies du Golfe, la diplomatie sportive occupe une place importante dans l’action diplomatique. L’Arabie Saoudite cherche à rattraper son retard sur le Qatar et les Émirats Arabes Unis.

Mohammed Ben Salmane et la diplomatie sportive
La diplomatie sportive fait partie intégrante du plan de modernisation « Vision 2030 » de Mohammed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie Saoudite.

Depuis 2016, l’Arabie Saoudite a lancé un vaste plan de modernisation pour apporter des changements significatifs à son économie et à la société. Le plan “Vision 2030” vise à réduire la dépendance du pays au pétrole, à diversifier son économie et à développer les secteurs de services publics, notamment en matière de loisirs et de tourisme. La diplomatie sportive fait partie des nouveaux terrains investis par le prince héritier Mohammed Ben Salmane.

L’organisation de grands événements sportifs, une visibilité internationale garantie.

L’Arabie Saoudite veut apparaître comme un acteur de premier plan dans la région, y compris sur le plan sportif. Elle utilise la diplomatie sportive comme un outil de soft-power pour contrebalancer son bilan sulfureux en matière de droits de l’homme. Sa stratégie passe d’abord par l’accueil de grands événements sportifs. Depuis deux ans, le pays a en effet organisé de multiples événements : un match amical de football entre l’Argentine et le Brésil, la manche inaugurale de la Formule E ou encore des épreuves de golf et de boxe.

C’est à ce titre également que l’Arabie Saoudite a obtenu l’organisation des cinq prochaines éditions du Dakar. Avec l’épreuve-reine du rallye-raid, la monarchie s’offre une marque prestigieuse, un événement mondialement connu en adéquation avec l’image dynamique que le pays souhaite renvoyer. Riyad s’assure aussi la promotion de ses sites naturels. La réception de la Supercoupe d’Italie – dont la première édition a opposé la Juventus au Milan AC en janvier –  participe aussi à cette stratégie. L’Arabie Saoudite devrait également organiser les six prochaines de la Supercoupe d’Espagne. Avec le sport le plus populaire de la planète, l’Arabie Saoudite s’assure une grande visibilité.

Une stratégie sportive à long terme.

L’Arabie Saoudite désire également s’établir comme une puissance dans la gouvernance du sport régional et mondial. Riyad s’est montée très active auprès de la FIFA. La monarchie est l’une des instigatrices du projet de passage de 32 à 48 équipes au Mondial dès 2022. Cela obligerait certainement la FIFA à élargir l’organisation de la Coupe du Monde qatarie à d’autres pays du Golfe.

En coulisses, Riyad a tenté de créer une nouvelle instance régionale en Asie du Sud-Est (SWAFF) au-delà des frontières de la FIFA et de la Confédération de football asiatique (AFC). Cela s’est soldé par un échec car la SWAFF s’est effondrée cinq mois après son instauration lorsque sept pays d’Asie du Sud s’en sont retirés. L’Arabie Saoudite vise également une réforme de la Coupe du Monde des clubs. Elle cherche enfin à obtenir de l’influence dans des championnats étrangers, comme en Égypte.

L’Arabie Saoudite possède une vision stratégique à long terme en matière de développement du sport. Outre l’organisation de grands événements internationaux, elle s’est dotée d’un fonds de développement sportif avec des capitaux dédiés à la construction d’installations et à la privatisation des clubs. La future ville sportive de Qiddiya, dont l’ouverture est prévue pour fin 2022, présentera un large éventail d’installations sportives modernes. 150 sports y seront ainsi représentés.

Droits de l’Homme : entre ouverture…

L’Arabie Saoudite se sert enfin du sport pour démontrer que le régime s’ouvre sur le monde : 15 000 femmes ont pu assister à la Supercopa italienne, bien que confinées à un secteur du stade. Lors du Dakar, Riyad a promis que les femmes pourraient exercer pleinement leur métier. Aux Jeux Olympiques de Rio en 2016, quatre femmes représentaient les couleurs du pays.

Cependant, malgré les ouvertures de façade, les événements sportifs ne contribuent pas à améliorer l’image du royaume. Le crédit international de la monarchie a passablement souffert de l’assassinat de Jamal Khashoggi, journaliste et opposant saoudien tué le 2 octobre 2018 dans l’enceinte du consulat de son pays à Istanbul. L’autre ombre au tableau est l’intervention militaire au Yémen. La guerre a déclenché la pire crise humanitaire au monde depuis la seconde guerre mondiale. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que, depuis 2015, plus de 10 000 ont été tuées, 60 000 blessées et 3,4 millions déplacées.

… Et appels au boycott.

Plusieurs ONG ont appelé au boycott des compétitions sportives en Arabie Saoudite. Amnesty International a appelé la Juventus et le Milan AC à ne pas jouer la Supercoupe d’Italie. Certains coureurs amateurs et leurs sponsors pourraient refuser de courir le Dakar. Pourtant, à l’exception d’une exhibition entre Djokovic et Nadal suite au forfait sur blessure de l’Espagnol, tous les événements programmés ont eu lieu. Comme le soulignaient les organisateurs de la Formule E, trois moins à peine après l’affaire Khashoggi, « il ne faut pas oublier que ni les pays européens ni les États-Unis n’ont pris de sanctions à l’encontre de l’Arabie Saoudite à la suite à ce drame. Si cela avait été le cas, la course n’aurait jamais eu lieu ».

L’Arabie Saoudite rattrape ainsi son retard sur le Qatar et les Émirats Arabes Unis sur le terrain du sport. Des dizaines de contrats seraient actuellement sur la table. Dans l’ère moderne du sport, les droits humains ne pèsent souvent pas lourd face aux sommes astronomiques déboursées par les États pour améliorer leur soft-power.

[1] Pour Stuart Murray, la diplomatie sportive serait une pratique « facilitée par la diplomatie traditionnelle [qui] utilise les sportifs et les événements sportifs pour s’engager, informer et créer une image favorable parmi les publics et les organisations étrangères, façonner leurs perceptions d’une manière favorisant les objectifs de la politique étrangère du gouvernement d’envoi ». MURRAY Stuart, « Sports Diplomacy: A Hybrid of Two Halves », Cultural Diplomacy, 2011.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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