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Les renseignements israéliens, une histoire secrète de l’Etat hébreu (2/2)

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Un futur à l’épreuve du renouvellement générationnel 

organisation de la communauté israélienne du renseignement
Organigramme « Les services secrets israéliens », par Eric Denécé et David Elkaïm (Annexe 1)

L’analyse de l’histoire des services israéliens permet de souligner le caractère profondément unique qu’entretient cette institution occulte avec l’identité nationale, et ce même avant l’indépendance du pays. Les nombreux anciens agents ayant embrassé une carrière politique sont là pour en témoigner : Benjamin Netanyahu est un ancien officier de Maktal, Ariel Sharon a dirigé l’unité 101 chargée de l’élimination des ennemis d’Israël, Ehud Barak a servi dans le renseignement militaire, Tzipi Livni (ancien ministre des affaires étrangères et de la Justice) est un ancien agent du Mossad, le deux fois Premier ministre Yitzshak Shamir affiche 17 années au sein du Mossad, ou encore Chaïm Hertzog, sixième président d’Israël, qui a été deux fois directeur du renseignement militaire. La liste appuyant la porosité entre mondes politique et du renseignement pourrait encore s’allonger. En sus, Ia communauté israélienne dispose d’un rare continuum de sécurité boosté par la reconversion d’anciens agents en startuppeurs brillants dans le domaine de la cybersécurité. Moins nombreuses que leurs homologues françaises (400 contre 600) les entreprises israéliennes dans ce secteur ont levé 30 fois plus d’argent (800 millions de dollars contre 26 millions) en 2017. Le Mossad a même créé, en 2017 un fonds d’investissement nommé Libertad uniquement dédié au secteur civil israélien de la haute technologie. Enfin, la composition pluriethniques et l’éparpillement de la diaspora juive aux quatre coins du globe permet au pays d’attirer des talents polyglottes, pouvant se fondre dans n’importe quel milieu. La militarisation intense du pays contribue également à la préservation d’un esprit de défense, tout en facilitant les recrutements, bien que les exemptions de service militaire augmentent depuis quelques années. Enfin, il convient de remarquer l’ampleur des effectifs dévolus aux activités de renseignements comparativement à la population nationale : près de 9000 hommes et femmes composent le renseignement militaire, soit plus que la DGSE française et le service allemand de renseignement extérieur (environ 6000 chacun), tandis que le Mossad et le Shin Beth représentent respectivement, selon les estimations, 3000 et 1000 hommes.

Quelles évolutions ? 

Si le professionnalisme des renseignements israéliens n’est plus à prouver, plusieurs défis seront à relever dans le futur proche :

En interne : Les tendances démographiques confirment la progression des citoyens israéliens arabes et musulmans (près de 20% de la population), tandis qu’Israel continue sa politique d’expansion des colonies. Le potentiel conflictuel de la société israélienne pourrait donc croître. Parallèlement, en considérant que la génération des pères fondateurs de la nation et des services de renseignements est aujourd’hui éteinte, l’absence de référentiel commun pourrait nuire au consensus entre les mondes politique et du renseignement, mais aussi au bon fonctionnement du régime démocratique. Les récentes positions illibérales du Premier ministre Netanyahu favorisant une vision ethnique et exclusive de la démocratie au détriment d’une vision extensive de l’Etat de droit, pourrait ainsi mener à une utilisation opaque et liberticide des services de renseignements. Cette attitude transférée sur l’échiquier régional conduirait potentiellement Israël à reconsidérer et renforcer sa philosophie de la périphérie (alliance avec les minorités non arabes).

En externe : La prospérité du Hezbollah sorti renforcé, comme son parrain iranien, de la crise syrienne, est une menace directe aux frontières d’Israël. Le trafic d’armes s’en trouvant décuplé, cela devient un danger imminent pour le pays. De même, les réguliers bombardements israéliens sur des bases iraniennes en Syrie pourraient conduire à une prochaine escalade. Si le retour des sanctions économiques contre l’Iran pourrait amener la théocratie chiite à se raidir en adoptant une politique belliqueuse, Israël anticipe en esquissant une stratégie de bouclier géopolitique. Ainsi, une nouvelle alliance tacite se déploie avec les Etats-Unis de Trump et les monarchies du Golfe, incarnées par le tandem Mohammed Ben Salman et Mohammed Ben Zayed. Les monarchies arabes pourraient alors servir de bouclier, voire de bras armé, face au tigre iranien, tout en permettant d’asseoir la  politique d’expansion du territoire israélien. L’objectif reste ici clairement d’empêcher par tous les moyens la contestation du monopole nucléaire israélien par l’Iran.  De plus, la perte de légitimité des représentants institutionnels de la lutte palestinienne ne clôt en rien la probabilité d’attentats ou le déclenchement d’une guérilla soudaine.  L’appui inébranlable de l’administration Trump, à rebours du droit international, à la politique de colonisation adoptée depuis 2015 risque aussi d’augmenter le risque terroriste. Israël peut enfin s’attendre à l’augmentation du risque pesant sur ses ressortissants et représentations diplomatiques comme économiques, d’autant que la menace de cyberattaques et autres dénigrement médiatiques semblent aussi se renforcer.

Le récent fonds d’investissement du Mossad atteste de la priorité accordée à la haute technologie

Quoi qu’il advienne, les services de renseignement resteront au coeur de la stratégie de l’Etat hébreu. Que ce soit sur le plan du renseignement économique ou de l’innovation technologique, comme celui de l’influence régionale et internationale, Israël s’affiche pour l’heure en pole position. Cependant, des questions restent pendantes. Comment l’instauration d’une démocratie ethnique amorcée par l’adoption de la loi du 19 juillet 2018, définissant Israël comme l’Etat nation du peuple juif, influencera-t-elle les activités des services de renseignement israélien ? Quelle place pour le renseignement humain dans un monde structuré par le cyber espionnage ? Sans oublier la seule et unique qui apaiserait bien des hommes : quelles paix et coopération possibles avec le voisinage arabe ?  Les services de renseignement resteront comptables du personnel politique, mais aussi le bras armé du destin affirmé par le fondateur de l’Etat d’Israël.

« Il ne s’agit pas de maintenir un statu-quo. Nous devons créer un Etat dynamique, orienté vers l’expansion. » – Ben Gourion

Sources

Tous les espions sont des princes, Dan Raviv et Yossi Melman, Stock, 1991

Les services secrets israéliens, Eric Denécé et David Elkaïm, Texto, 2017

Israeli Intelligence: Organization, Failures, and Successes, Ephraim Kahana, The Oxford Handbook of National Security Intelligence, 2010

The Gatekeepers, Arte, 2012

Ben Gourion, Testament politique, Arte, 2016

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Yannis BOUSTANI

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, mention Droit économique spécialité Droit public économique. — — — Quis custodiet ipsos custodes ?

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