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L’avenir des exportations françaises d’armements

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Plus d’un mois après la signature du traité d’Aix-la-Chapelle entre la France et l’Allemagne, qui comporte notamment un volet défense, a été signé un accord visant à établir les premières règles communes entre les deux pays en matière d’exportations d’armements. Celui-ci serait-il déjà caduque?

La stratégie internationale de la BITD française : les exportations d’armements

Le GIFAS, l’un des 3 groupes industriels chargés de promouvoir les enjeux de défense auprès de l’Etat

La Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) peut se définir comme « l’ensemble des entreprises qui contribuent, directement ou indirectement, au développement, à la production, au maintien en condition opérationnel des systèmes d’armes ». Cette base permet à l’Etat d’assurer sa propre sécurité, via le développement et l’entretien d’un tissu industriel et technologique de défense français. Thalès, Dassault Aviation, Nexter, Naval Group font par exemple partie de ces fleurons industriels du tissu de défense.

La Base Industrielle et Technologique de Défense française est donc une composante stratégique essentielle de la politique de défense française car elle contribue à l’équipement des armées, tout en protégeant un savoir-faire national technologique et industriel de pointe. Enfin, elle participe au développement de l’autonomie stratégique de la France.

Or, l’Etat français, actionnaire et client de la BITD française, ne suffit pas à entretenir le carnet  de commandes de ces industries, puisque, procédant parfois à des coupes budgétaires, il provoque ainsi une baisse de l’activité de certaines de ces entreprises. Ces dernières vont donc rechercher des perspectives à l’international, notamment via des exportations d’armements, contribuant par là-même au rayonnement de l’industrie française à l’étranger.

Le partenaire allemand, un frein dans notre stratégie ?

Cette stratégie rencontre cependant des obstacles. Ces derniers temps, les exportations d’armements ont été freinées par certains partenaires de la France, particulièrement l’Allemagne, et ce malgré la violation de l’accord Debré-Schmitt. Signé en 1972, celui-ci fixe les règles d’exportations des produits issus de la coopération franco-allemande en matière d’armement, notamment celle de ne pas freiner les exportations des partenaires. La décision du gouvernement allemand de bloquer ses exportations d’armements vers l’Arabie Saoudite (et in fine celles de la France) enfreint donc cet accord, comme il bafoue  également le tout récent accord intitulé « Coopération industrielle franco-allemande en matière de défense. Compréhension commune et principes de vente », signé à la suite du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle. Rappelons que ce dernier se donne, entre autres, pour objectif de coordonner les politiques françaises et allemandes en matière d’armement. Or, cet accord stipule qu’un des deux pays signataires ne peut opposer son veto à une exportation d’armements que si sa sécurité nationale ou ses intérêts vitaux sont menacés. La décision de l’Allemagne n’est pourtant pas justifiée par les raisons évoquées ci-dessus, mais par l’assassinat du journaliste Khashoggi. Malgré cela, l’Allemagne a maintenu sa décision.

L’Allemagne a, par le passé, déjà exercé son droit de veto et bloqué des exportations d’armements, au motif que certains composants étaient allemands. Par exemple, elle a freiné l’exportation de blindés légers produits par Arquus vers l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Indonésie et l’Inde début 2019. Elle a aussi bloqué l’exportation du missile air-air longue portée Meteor vers l’Arabie Saoudite.

Un partenariat sans alternative ?

En plus de ce problème récurrent se pose la question de la constitution d’une BITD européenne. Pour obtenir les financements de l’UE en matière d’industrie de défense, notamment ceux alloués au Programme Européen de développement industriel dans le domaine de la défense, la France doit se plier à la règle de la coopération avec 3 pays membres de l’UE. Ses potentiels partenaires font actuellement face à des difficultés de taille  – Brexit en Grande-Bretagne, présence d’un gouvernement populiste en Italie – rendant difficile la coopération. La France n’a donc plus beaucoup de choix de partenaires, si ce n’est… l’Allemagne !

Que peut faire la BITD française pour remédier à cette situation ?

Pour remédier au veto que pose l’Allemagne sur les exportations d’armements en raison de la présence de composants allemands, les industriels de la BITD française peuvent, et commencent d’ailleurs déjà, à se tourner vers d’autres partenaires industriels. Arquus s’est par exemple tourné vers Caterpillar, suite à son échec avec l’Allemagne. A l’instar du développement de matériels « ITAR-Free » qui s’est mis en place suite à des problèmes similaires rencontrés avec les Etats-Unis, l’idée de produits « German Free » s’impose. Il s’agirait ainsi de produire des armements sans composants allemands afin d’affranchir des réglementations imposées par l’Allemagne. C’est une solution, mais elle place les industries de défense françaises dans une posture délicate car l’Allemagne est, pour certains produits, l’un des rares pays à les fabriquer. De surcroît, cette solution ne résoudra pas la question de la coopération européenne pour les financements de l’UE.

Sources :

Moura, Sylvain ; Oudot, Jean-Michel 2014 : Le rôle clé de la BITD dans les exportations civiles et militaires de la France. EcoDef n°68.

Cabirol, Michel: l’Allemagne entrave les exportations d’armements d’Arquus. La Tribune du 06.02.2019.

Gebauer, Matthias: Lieferstopp nach Saudi-Arabien gilt nur für zwei Monate. Der Spiegel Online am 23.11.2018.

2015 : L’industrie française d’armement : aspects industriels. In : https://armement.ead-minerve.fr/index.php/wike/environnement-des-entreprises/l-industrie-francaise-d-armement/l-industrie-francaise-d-armement-aspects-industriels

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Jeanne-Marie BIOL

Jeanne-Marie Biol est étudiante en master Carrières Administratives à Sciences Po Bordeaux. Elle s'intéresse particulièrement à l'histoire et à la géopolitique du Moyen-Orient et de la Russie ainsi qu'aux questions de défense. Elle est rédactrice pour les Yeux du Monde depuis novembre 2018.

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