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Les limites de la politique internationale turque (2/2)

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Depuis 2016, Recep Tayyip Erdogan a complètement modifié la politique internationale turque. Autrefois partisane d’un dialogue avec tous les acteurs, la Turquie fait désormais quasi-cavalier seul. Une stratégie qui risque d’isoler encore plus le pays et qui ne comble pas les lacunes en politique intérieure.

En rivalité dans plusieurs dossiers, la Turquie pourrait se mettre la Russie à dos.
En rivalité dans plusieurs dossiers sur la scène internationale, la Turquie de M. Erdogan pourrait se mettre la Russie à dos.

Désormais dos à l’Europe et confrontée à la Russie, la politique internationale turque commence à montrer ses limites. L’interventionnisme de M. Erdogan en Libye lui à certes permis de trouver un allié en Méditerranée et d’avoir une reconnaissance de celui-ci de ses eaux territoriales. Mais ses interventions en Syrie et dans le Caucase risquent de lui coûter un partenaire important face à l’Occident sur la scène internationale.

Rivalité croissante avec la Russie

Dans le dossier syrien, la Turquie s’impose aussi comme rivale de la Russie. Moscou soutient le pouvoir en place tandis qu’Ankara appuie les rebelles de l’Armée syrienne libre. La tension est montée d’un cran entre les deux pays quand la Russie a bombardé le 26 octobre dernier une base des rebelles pro-turcs. Ceci peut être considéré comme un message de Moscou à destination de la Turquie pour l’inciter à se tenir à l’écart des intérêts russes. Les rebelles ont frappé des positions de l’armée syrienne le lendemain en guise de représailles.

Ce message concerne aussi l’intervention turque au Haut-Karabagh. Alors que la Russie considère les anciens membres de l’Union soviétique comme son pré carré, Ankara a vivement soutenu son allié azerbaïdjanais dans la reconquête de cette province perdue il y a trente ans. La Turquie y a déployé des mercenaires syriens pour appuyer l’armée azerbaïdjanaise, à qui elle a aussi fourni de l’armement. Pourtant, malgré la retenue de Moscou dans ce conflit, c’est bien la Russie qui peut se considérer comme vainqueur en terme d’influence dans le conflit. L’accord de paix a été signé entre Erevan, Bakou et par Moscou sous la supervision de celle-ci. La Turquie ne fera pas non plus partie du maintien de la paix dans la région.

Les relations avec Moscou s’étaient déjà tendues par le passé suite à la destruction d’un avion russe par des F-16 turcs en novembre 2015. Ces tensions s’étaient apaisées grâce à l’éloignement de la Turquie avec l’Occident. Ce qui retient les relations turco-russes de s’effriter sont les accords commerciaux autour des hydrocarbures qui sont beaucoup trop importants. Mais avec son interventionnisme en Syrie et dans le Caucase, la Turquie risque de s’éloigner encore de la Russie. Cette dernière représente pourtant un partenaire idéal contre l’Occident sur l’échiquier géopolitique international.

L’opposition rattrape Erdogan 

Si M. Erdogan est aussi offensif sur la scène internationale au point d’adopter une stature diplomatique semblable à celle de Donald Trump, c’est aussi pour rehausser sa popularité en berne auprès de l’électorat turc. Cette politique internationale turque très interventionniste qui vise à rehausser le nationalisme et l’unité autour du chef ne fonctionne pourtant pas. La Turquie réprime de plus en plus ses opposants et les journalistes (la Turquie est le pays qui compte le plus de journalistes emprisonnés). Une politique qui a été accélérée après la tentative de putsch en 2016. La tentative de révolution culturelle et de formation d’une génération pieuse lancée par M. Erdogan est aussi un échec. L’économie turque est en berne : sa devise continue sa dépression et le chômage grimpe, surtout chez les jeunes.

Dans ce climat compliqué, l’opposition gagne du terrain. Lors des élections municipales en juin 2019, le parti de M. Erdogan, l’AKP, a perdu les deux principales villes turques : Ankara et Istanbul. Cette dernière, ville la plus peuplée du pays et faisant la jonction entre Asie et Europe, est depuis dirigée par Ekrem Imamoglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP). Une famille politique fondée en 1919 par… Atatürk, celui dont M. Erdogan cherche à s’éloigner. Selon un sondage, si les élections présidentielles de 2023 avaient eu lieu en 2020, le leader du CHP en serait sorti vainqueur.

Quel avenir pour la Turquie et Erdogan ?

Dans une situation instable à l’intérieur, la stratégie de M. Erdogan ne le rend pas plus prestigieux et surtout, elle l’esseule sur la scène internationale. La Turquie se met l’Europe à dos, notamment la France, et se retrouve en situation de rivalité avec la Russie dans de nombreux dossiers. Enfin, l’élection récente de Joe Biden à la Maison Blanche peut aussi porter préjudice à la Turquie. Donald Trump était un rempart contre de possibles sanctions contre Ankara pour avoir acheté et testé des missiles russes, ce qui est interdit pour un membre de l’Otan.

Pourtant, il ne faut pas pour autant considérer M. Erdogan comme fini. Le président turc a déjà surpris par sa capacité à rebondir notamment après son passage de quatre mois en prison en 1999. Il y a imaginé les bases de l’AKP, parti qu’il dirige et qui est au pouvoir depuis 2003.

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Mathieu OBRINGER

Diplômé d'une licence à l'École de Journalisme de Cannes et étudiant à l'IRIS Sup', Mathieu envisage de poursuivre son cursus dans l'analyse géopolitique. Il est rédacteur des Yeux du Monde depuis décembre 2020.

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